Élise Lucet fête les 10 ans de "Cash investigation" : "Nous ne cherchons pas la petite bête mais la grosse bête"

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Élise Lucet fête les 10 ans de "Cash investigation" : "Nous ne cherchons pas la petite bête mais la grosse bête"
Par Ludovic Galtier Lloret Journaliste
Né en Isère entre le tirage de la première boule noire de l'histoire de "Motus" - "Oh-ohohohoh" - et la première visite de candidats à "Fort Boyard", Ludovic Galtier est journaliste à Puremédias depuis octobre 2021. Il est passionné par la politique, l'économie des médias et leur stratégie de programmation.
La bande-annonce des 10 ans de "Cash investigation" diffusés ce jeudi 16 mars 2023 à 21h10 sur France 2. © © Nathalie GUYON-FTV
La journaliste de France 2 a accordé un long entretien à puremedias.com. Elle présente, ce jeudi 16 mars 2023 à 21h10, une grande soirée dix ans après la diffusion de la première émission en prime.

"Bonjour, Élise Lucet, France 2". Célèbre dans l'inconscient collectif, cette entrée en matière de la présentatrice de "Cash investigation", une production Premières lignes, fête ses dix ans ! Élise Lucet est à la tête, ce jeudi 16 mars 2023 dès 21h10, d'un prime-time événement au cours duquel la quinzaine de journalistes obstinés de l'émission reprendront dans un film de 90 minutes trois enquêtes emblématiques et plébiscitées par les téléspectateurs.

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Dans la foulée, Élise Lucet animera un débat d'une heure auquel prendront part Antoine Deltour, une des deux sources à l'origine des Luxleaks, mais aussi les représentants de ceux avec qui elle a ferraillé ces dix dernières années : Stéphane Fouks, vice-président de Havas, l'une des plus grosses agences de communication de la place de Paris, et l'avocat Emmanuel Daoud.

Dans un long entretien en trois parties, Élise Lucet revient, dans un premier temps pour puremedias.com, sur les enjeux de cette soirée et les coulisses de fabrication de l'émission qui a réuni, en moyenne en 2022, 2,5 millions de téléspectateurs (11,0% de l'ensemble du public, 12,0% de part des 25-49 ans et 11,0% des 50 ans et plus), selon Médiamétrie.

Propos recueillis par Ludovic Galtier

puremedias.com : Vous fêtez les 10 ans de "Cash investigation". Trois des 59 enquêtes diffusées ces dix dernières années vont être prolongées ce soir. Comment ont-elles été choisies ?
Élise Lucet :
Nous avons lancé une grande consultation auprès des téléspectateurs, d'abord en leur demandant quelles étaient les enquêtes qui les avaient le plus marqués et sur lesquelles ils souhaitaient que nous enquêtions à nouveau. Est arrivée en tête celle sur Lidl ("Travail : Ton univers impitoyable", ndlr), qui a réalisé la meilleure audience historique de "Cash investigation" avec 3,8 millions de téléspectateurs et 17,7% du public (le mardi 26 septembre 2017, ndlr). Ont suivi celles sur les sels de nitrites dans le jambon et sur l'évasion fiscale avec les Panama Papers.

Ils ont dit
"La souffrance au travail est un thème extrêmement présent dans la vie des gens"
Élise Lucet
Qu'avez-vous appris de plus dans le management "brutal" de Lidl ?
Au lendemain de la diffusion de l'émission en 2017, Lidl s'était engagé à réaliser une grande charte pour que des dérives ne se produisent plus dans le management. Il n'y avait pas de raison que nous ne leur portions pas crédit. Malheureusement, il y a eu en Bretagne le suicide d'une femme qui s'appelait Catherine Lucas (le 6 septembre 2021 à Lamballe dans les Côtes-d'Armor, ndlr). Nous avons commencé à enquêter et nous nous sommes rendu compte qu'il y avait plusieurs dizaines de plaintes déposées contre le management de Lidl, y compris de la part de représentants syndicaux de la CGC (Confédération générale des cadres, ndlr). Nous avons alors interviewé la CGC et la CGT, qui dénoncent des conditions de management qui ne sont pas acceptables d'après eux. Lidl a été condamné pour faute inexcusable dans deux cas de suicide et deux tentatives de suicide.
Cette enquête est-elle, selon vous, arrivée en tête chez les téléspectateurs en raison de la réforme des retraites qui prévoit de décaler l'âge légal de départ en France de 62 à 64 ans ?
Oui, je pense qu'il y a de ça. À l'époque de la diffusion de la première enquête en septembre 2017, nous avions eu un petit débat avec la chaîne. Ce sujet était notre numéro d'ouverture de saison. La chaîne nous avait dit : "Non, mais vous ne vous rendez pas compte, la souffrance au travail en ouverture de saison, vous êtes dingues ! Cela ne va pas marcher !". Sa diffusion s'inscrivait alors dans la même période que la présentation des ordonnances Macron (qui réformaient en profondeur le Code du travail, ndlr). Au final, l'émission a eu le résultat d'audience que l'on connaît et a été énormément regardée. La souffrance au travail est un thème extrêmement présent dans la vie des gens.

"Cash" s'est fait une place au soleil avec l'évasion fiscale, thème du premier numéro proposé en prime time sur France 2 en 2013. Pensez-vous, dix ans après, que l'émission a contribué à enrayer cette pratique ? L'État a récupéré grâce à l'émission 186 millions d'euros...
Oui, en restant modestes, nous y avons contribué. Nous ne sommes pas seuls : nous sommes arrivés avec le premier numéro sur l'évasion fiscale en pleine affaire Jérôme Cahuzac (ancien ministre du Budget, ndlr). Tout à coup, nous nous rendions compte que des politiques et des multinationales inventent des procédés grâce à des États européens pour payer le moins possible d'impôts. Il y a eu un électrochoc dans la population qui constatait qu'il y avait de l'argent mais qu'il n'était pas là où il devait être. C'est ce que nous racontions dans le premier numéro diffusé en prime : François Hollande cherchait 20 milliards d'euros quand l'évasion fiscale en représentait 80 milliards. Cet électrochoc était nécessaire pour faire bouger les politiques.
Ils ont dit
"Ce qui était intéressant, c'était de voir un présentateur de JT qui montre qu'il est journaliste autrement"
Élise Lucet

C'est quoi la méthode "Cash" ?
À la création, nous nous sommes dit deux choses : un, les communicants où qu'ils soient ont pris énormément de place dans les entreprises et dans l'entourage des politiques. Partout où nous allions, nous avions des communicants en face de nous, qui petit à petit avaient restreint le champ des journalistes. Nous avons donc décidé pour reprendre du terrain, en tant que journalistes, d'aller à l'encontre de cela et de poser le postulat selon lequel quand on nous refusait une interview, nous nous inviterions à une conférence de presse ou une table ronde pour poser les questions que nous souhaitions poser. Mais l'idée, c'est d'abord et surtout d'obtenir une vraie interview.

Et la deuxième chose ?
La deuxième promesse était d'être sérieux sans se prendre au sérieux. Avant "Cash", les émissions d'investigation étaient programmées en seconde partie de soirée et réservées à un public élitiste. Nous avons donc décidé de faire de "Cash" une émission hyper sérieuse sur le fond mais plutôt sympa à regarder, drôle, avec dedans des dessins-animés, des pubs et de l'autodérision. Si nous voulons intéresser tout le monde, il faut ces moments de pause dans la narration et utiliser des clefs pour mieux expliquer des processus complexes. C'est cela qui a marché.

Comment avez-vous appréhendé ce rôle consistant à demander des comptes aux puissants ?
Je ne l'ai pas appréhendé, je l'ai construit. Je voulais aller sur le terrain pour poser ces questions là et casser les codes. Nous avons vraiment avancé en marchant. Je me souviens de la préparation de la toute première interview impromptue, c'était rigolo parce que nous inventions un truc qui n'avait jamais été fait. Je tenais absolument à le faire. Ce qui était intéressant, c'était de voir un présentateur de JT qui sort de sa boîte et qui montre qu'il est journaliste autrement (Elise Lucet a présenté le "19/20" national de France 3 entre 1990 et 2005 puis le "13 Heures" de France 2 entre 2005 et 2016, ndlr).

Ils ont dit
"Ce n'est pas possible de nous dire non quand nous avons bossé comme des dingues sur une enquête"
Élise Lucet
"Cash investigation", c'est 234 interviews d'Élise Lucet. 70% se sont passées dans les conditions d'un entretien normal, 30% ont été des rencontres impromptues. L'émission aurait-elle eu autant de retombées sans ces moments de télé ?
Non, parce que l'émission a été créée en partie pour cela. Ce n'est pas possible de nous dire non quand nous avons bossé comme des dingues sur une enquête. Il faut aller chercher les réponses. Bien sûr que l'émission n'aurait pas eu autant d'échos sans cela. Après, au bout de quatre ans, nous nous sommes dit qu'il fallait faire attention à ne pas devenir la caricature de nous-mêmes et à ne pas toujours avoir Élise qui court après les patrons, Élise qui court après les lobbyistes... Sinon c'était la série des "Alice" ou du "Club des cinq".
Mais nous mettons une énergie folle à essayer de les convaincre de faire des interviews à la loyale. Pendant six mois parfois, on négocie via des coups de fil, des mails, des relances et des discussions avec eux. Quand, malgré tout, nous n'avons pas d'interviews à la loyale, nous faisons ce genre de situations pour signifier aux téléspectateurs que nous avons tout fait pour avoir une interview et puis parce que parfois cela a débloqué des interviews...

Dans quels cas ?
Cédric O (ancien secrétaire d'État au Numérique, ndlr) ne voulait pas nous répondre. Je me rends à une réunion publique où il se trouvait pour l'interpeller et finalement, il nous a accordé une interview. C'était le cas aussi avec le patron de Pages jaunes et la présidente de France assurance. Il y a au moins une dizaine de cas, où finalement quand nous avons atteint ce moment de crispation, ils se sont dit : "Mais je suis complètement idiot, il faut la faire cette interview". Nous ne le faisons donc pas juste pour faire du buzz.

Comment expliquez-vous ce changement de pied de leur part ?
Ils se disent que s'ils ne répondent pas, l'équipe de "Cash" va abandonner et qu'elle ne parlera pas d'eux. Ce qui est un très mauvais calcul parce qu'en fait, quand nous avons fait une enquête pendant un an, nous ne pouvons pas abandonner. Donc, ils prennent conscience que nous n'abandonnerons pas. Et s'ils donnent, pour seule image d'eux, celle de quelqu'un qui fuit, ce n'est pas génial. Pour autant, il y a encore des entreprises qui refusent comme dernièrement Total. Quand nous montrons aux téléspectateurs que l'on a tout essayé et qu'il y a un refus, cela impacte l'image de la société.

C'est le privilège des puissants de ne pas répondre ?
S'ils le prennent comme un privilège, je ne suis pas sûre que l'impact soit positif. Je suis même à peu près sûre du contraire.
Ils ont dit
"L'investigation n'est pas un manuel des trains qui arrivent à l'heure"
Élise Lucet
Que répondez-vous à ceux qui considèrent que "Cash", si elle a le mérite d'exister, est une émission à charge et que la partie est perdue d'avance pour le patron ou le politique face à vous ?
Il est clair que l'investigation n'est pas un manuel des trains qui arrivent à l'heure. Par définition, l'investigation, c'est chercher des dérives systémiques. On pourrait nous critiquer si effectivement, dans un énorme groupe, on allait chercher une bête minuscule. Ce qui est intéressant dans "Cash", c'est que l'on s'intéresse à une dérive quand elle est systémique.
Comment dans l'enquête sur Lidl, par exemple ?
Quand on s'intéresse au management de Lidl, c'est parce qu'il s'agit d'un management systémique que l'on retrouve dans plusieurs endroits du groupe. Dans tous les groupes du monde, il y a des dérives et des choses qui ne vont pas. Quand il s'agit d'une dérive individuelle, un manager coupable de harcèlement, malheureusement cela arrive partout. Et ça, cela ne nous intéresse pas. Donc, nous ne cherchons pas la petite bête mais la grosse bête.
Et l'investigation n'est pas forcément gage de solutions...
L'investigation, c'est sûr, n'est pas du journalisme de solutions même si, dans le plateau qui suit le documentaire, nous évoquons des évolutions possibles. Nous ne sommes pas que dans la volonté d'être à charge. Et pour vous donner un ordre d'exemple, souvent dans "Cash", quand nous commençons une enquête, nous avons dix pistes et nous en abandonnons sept parce que nous nous sommes trompés. Et nous laissons tomber. Plus largement, nous répondrons aux critiques (utilisation de caméras cachées, ndlr) et raconterons les coulisses de l'émission (protection des sources, ndlr) dans le documentaire de deux heures, puis en plateau.

Vous assurez aussi la co-rédaction en chef du programme. Qu'est-ce que cela signifie ?
Je suis tout le processus en fait. Au fur et à mesure, les journalistes me font des points sur les enquêtes. Au moment où je dois faire mes interviews, je connais déjà bien le sujet et là, je dois porter le travail pour mener les interviews les plus costaudes. Je dois être au niveau du questionnement à la fois de mon équipe qui a bossé pendant un an et des téléspectateurs qui attendent de l'autre côté. C'est hyper exigeant et c'est cela qui me plaît.

Combien de numéros de "Cash investigation" sont diffusés chaque année ?
Six par an et nous n'en voulons pas plus. Chaque numéro, c'est un an d'enquête. À un moment, la chaîne nous a dit que ce serait chouette si nous en faisions 10 par an et nous avons dit non. Si nous souhaitons garder la qualité des numéros que nous envoyons à l'antenne, nous ne pouvons pas en faire plus. Et cela nous va très bien comme ça.
Ils ont dit
"Delphine Ernotte me demande juste de la prévenir quand nous sommes sur des moments sensibles"
Élise Lucet

Vous pouvez nous dire "les yeux dans les yeux" que le magazine "Cash" n'a jamais été menacé de disparition ?
Non du tout !

Il n'a jamais été question de réduire le nombre de numéros non plus ?
Il y a eu une réduction de numéros en saison 2 mais j'ai fini par remporter le morceau puisque nous avions huit numéros la première année et quatre numéros la deuxième année. C'est cette année-là que j'ai réussi à avoir un cinquième numéro qui a fait que l'émission a basculé en prime. Et depuis, il n'y a eu aucune menace sur l'émission. Nous avons une liberté totale. À aucun moment, on nous a dit : "Ah non, pas cette enquête-là". J'ai un contrat de confiance avec Delphine Ernotte qui me demande juste de la prévenir quand nous sommes sur des moments sensibles. Elle souhaite être au courant afin de savoir quoi répondre quand on l'appellera. "Je ne veux pas avoir l'air d'une idiote et ne pas être au courant", me dit-elle. Ce qui est totalement normal.

Êtes-vous la seule journaliste de votre trempe à avoir accès directement à Delphine Ernotte ?
Je n'ai pas ce sentiment. A partir du moment où l'on traite de sujets sensibles, je crois que n'importe quel journaliste peut l'appeler en lui disant : "Delphine, il faut que je vous parle, j'ai un truc important à vous dire".

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