A chaque biopic, c'est du caviar pour les critiques. On ressort nos belles phrases toutes faites : « un tel incarne un autre plus vrai que nature », « le film retrace la carrière de celui-là », et on parle de performance d'acteur, on souligne les efforts du comédien pour se mettre « dans la peau de », avant de terminer par nuancer en râlant parce que le réalisateur s'est permis des libertés sur l'histoire, la vraie de vraie.
Faut-il faire pareil avec un film comme Gainsbourg (vie héroïque) ? On pourrait se limiter à dire qu'Elmosnino fait « un Gainsbourg plus vrai que nature », que Joan Sfar « retrace la carrière de l'homme à la tête de chou ». Mais arrêtons ici le copié-collé. Car Gainsbourg (vie héroïque) est le premier OVNI de l'année. Après Piaf, Coluche et Coco Chanel (et dans une autre mesure, Mesrine), la France a bien envie de se regarder dans le passé et rendre hommage aux fortes têtes qui ont laissé leur emprunte dans notre culture. Fatalement, un film sur le mec à la sale gueule et au répertoire musical incroyable se devait de voir le jour.
Sauf que... le dessinateur Joan Sfar n'est pas un cinéaste, et c'est loin d'être handicap. Sa personnalité formelle et esthétique fait la différence. Là où les autres biopics laissent leurs acteurs (plus vrais que nature, toujours !) faire leurs performances dans un film qui ne se contente que de relater une histoire déjà connue ; là où les réalisateurs se font discrets, effrayés par la grandeur des monstres dont ils essayent de redonner la vie ; Sfar se paye le luxe d'envoyer bouler le concept-même de biopic pour faire un conte, un vrai, un rêve à cheval entre fantasme et réalité.
Le film à la tête de fou
C'est ainsi que Serge Gainsbourg se verra toujours suivi par sa Gueule, un monstre créatif génial et insomniaque, jouant avec la légende gainsbourgienne sur le thème du Docteur Jekyll et Mister Gainsbarre. Il suffit de voir l'étrange ménage à trois entre Serge, sa Gueule et Juliette Gréco pour comprendre la complexité du conte et sa personnalité intrigante. Pas moins de cinq versions de Gainsbourg sont visibles dans le film, le personnage se transmutant autant de fois qu'il change de muse pour au final n'être qu'un seul de ses avatars : Lucien, le petit juif portant son étoile de sheriff, déformant une marseillaise pour ne beugler que « du sang partout » !
La poésie et l'étrangeté dégagée par les deux heures de film sauront plus rendre hommage à l'artiste qu'elles établiront une vérité historique. L'histoire, on la connaît, la fin aussi. C'est pour cela que Sfar nous étonne bien au-delà des mots pour nous permettre de revoir Serge et ses femmes le temps d'un songe. Un étrange machin que Gainsbourg aurait trouvé « pas dégueu ».