Le jeune Cyril n’est pas sans rappeler Poil de Carotte, ce rouquin humilié et mal-aimé du roman de Jules Renard. Mais, bonne nouvelle, les frères Dardenne, docteurs ès fond du trou, ne sombrent pas, cette-fois, dans le misérabilisme. Non, ce Gamin au vélo, ce n’est pas leur remake de La Petite Fille aux allumettes... Leur cinéma se teinte même d’une subtile humanité avec ce film solaire baigné d’un Concerto pour piano de Beethoven.
Une question, lancinante, y résonne : Que faire sans (re)père ? Le vélo de Cyril est le symbole d’une relation père-fils qui a déraillé. L’enfant, père-du, s’acharne et voit des pères partout : dans une petite frappe chef de bande qui le mènera à sa père-te, mais aussi dans son précieux vélo. A défaut de cadre parental, Cyril chérira un cadre en titane.
Le rouge et le bleu
La vision des réalisateurs gagne en acuité et nous offre le portrait d'un petit homme déboussolé à la limite de l'animalité. Poussé hors du nid, Cyril mord, griffe et grimpe aux arbres. Mais c'est aussi un fin limier, prêt à tout pour retrouver ce père qui l’a abandonné. La fragilité de l'enfant délaissé se double d'une violente ténacité car Le Gamin au vélo est loin d’être un film monochrome. Deux couleurs dominent : le rouge et le bleu. Le feu et la glace, peut-être, signes d'une jeune âme enfiévrée pourtant glacée jusqu'aux os. Ou bien deux couleurs primaires à qui il en manque fondamentalement une troisième. Comme il manque un père à Cyril.
Le cas Cécile de France
Reste la question que peu osent poser : Cécile de France est-elle une bonne actrice? Et, n’en déplaise au microcosme cannois, la réponse est plutôt non. Non, il ne suffit pas d'enfiler une veste en jean trop courte et une robe dépareillée pour être une coiffeuse crédible. Pour un acteur, entrer dans une peau, ce n’est pas simplement se vêtir d'oripeaux. La comédienne à la voix nasillarde fait pâle figure face au jeune [personnalite_ozap%]Thomas Doret[/personnalite_ozap%], sidérant, et sa sempiternelle fausse candeur détonne avec le sujet, si bien traité. L’interprète de Sœur Sourire a beau pleurer, elle peine à nous faire vibrer. Jérémie Renier, en père invisible, lui, n’est pas loin d’être parfait.
Une fable sur la paternité
Mais le film est bien plus qu’une simple histoire d’enfant perdu : c’est un conte. Attiré par les dangers de la forêt, l’enfant délaissé sera sauvé par une bonne fée. Et, comme tous les contes, Le Gamin au vélo se livre parfaitement à une lecture psychanalytique. Le film, comme le suggère son titre, appelle à l’universel : c’est une fable sur la paternité. Il insiste, subtilement, sur les dégâts causés par un père déserteur ; le film s’ouvre d’ailleurs sur la mise en scène d’un géniteur aux abonnés absents. Les relations fusionnelles que Cyril s’évertue à tisser naissent toutes de cet abandon fondateur. Il ne rencontre pas les gens : il s’agrippe à eux. Ce gamin au vélo, comme l’homme aux loups de Freud, en dit long sur la nature humaine : il nous rappelle que la fusion n’est que l’envers de la violence mais, surtout, que toutes les histoires sont des histoires d’amour.