

"On est très fier de ce film", se félicitait Emmanuel Garcia, directeur délégué de la fiction française chez France Télévisions, lors d'un point presse organisé lors du 26e Festival de la Fiction de la Rochelle en septembre dernier. "Un film comme 'Olympe, une femme dans la Révolution', résume vraiment ce qu’on a envie de faire sur le service public. C'est-à-dire, à la fois raconter le quotidien, le monde dans lequel on vit et aussi raconter les temps forts de l’histoire, des personnages et des combats comme ceux d’Olympe de Gouges qui font référence encore de manière très forte à l’époque dans laquelle on vit", ajoutait-il.
Cinq mois plus tard, ce téléfilm réalisé par Julie Gayet et Mathieu Busson sera diffusé ce lundi 3 mars à 21h10 sur France 2. L'occasion pour la comédienne d'endosser les habits de cette figure emblématique du féminisme que des millions de Français ont découvert lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques. "Mais si, souvenez-vous, c'est la première statue qui sortait de l'eau", lance la comédienne de 52 ans. Ce téléfilm, son choix de le voir diffusé sur France Télévisions, ses combats, Julie Gayet a répondu aux questions de Puremédias. Entretien.
Propos recueillis par Benjamin Rabier
Puremédias : Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce téléfilm "Olympe, une femme dans la Révolution" ?
Julie Gayet : Avec Mathieu (Busson), on s'est rencontrés il y a plus de quinze ans. En 2010, on a commencé à travailler ensemble sur un documentaire sur la place des femmes dans le cinéma. Très vite, on s'est dit qu'il fallait arrêter de ne poser cette question qu'aux femmes donc on a fait un deuxième documentaire où on interrogeait 10 réalisateurs. Quelques années plus tard, la vague "Me Too" a déferlé et a percuté nos documentaires. On a commencé à entendre de nouveaux mots comme "sororité", "club de femme", des collectifs, des associations se créaient ("50/50", "La Fondation des femmes"). On a alors rencontré ces femmes exceptionnelles et c'est devenu un livre "Ensemble, on est plus fortes". À chaque fois, nos documentaires étaient produits par Christie Molia. L'idée de faire ce téléfilm sur Olympe de Gouges est venue d'elle. Elle voulait lancer une collection, une série de portraits de ces femmes marquantes de notre histoire. Je peux vous le dire désormais, après Olympe de Gouges on va faire un autre téléfilm sur Louise Michel pour France Télévisions.
Est-ce que vous saviez dès la naissance du projet que vous alliez incarner Olympe de Gouges à l'écran ?
Non et pour être très honnête je n'étais pas sûre de vouloir l'interpréter puisque j'étais déjà derrière la caméra. Un jour, Anne Holmes, la directrice des programmes et de la fiction de France Télévisions, m'a dit : "Oh, il y a Mathieu (Busson) aussi derrière la caméra, tu peux donc la jouer". Et effectivement, sans Mathieu, je ne sais pas si j'aurais pu l'incarner.
Pourquoi avoir hésité à jouer ce rôle ?
Je m’étais fixée comme règle de ne pas jouer dans des films que je réalisais ou que je produisais. C’est vraiment Christie Molia et Anne Holmes qui m’ont convaincue. Elles ont vraiment insisté. À un moment donné, il y avait aussi une question de timing. Nous n'avions pas beaucoup de jours de tournage (19 jours et demi, ndlr), donc je me suis dit : "Ça ira plus vite si je la joue moi".
Avez-vous présenté le projet à d'autres diffuseurs que France Télévisions ?
Absolument pas. C'était une vraie volonté de notre part de le faire pour et avec le service public. Quitte à mettre en lumière ce personnage de l'histoire, autant le faire avec le groupe le plus pertinent pour nous. On préférait être programmé à 21h10 sur France 2 plutôt que de tenter l'aventure au cinéma ou on aurait fait 150.000 entrées, 300.000 maximum. Dès nos premières discussions on a reçu un accueil incroyable du service public. On voulait vraiment que ce film soit vu par le plus grand nombre. C’était vraiment un choix.
Vous parlez de le faire "avec le service public". Qu'est-ce cela veut dire ?
France Télévisions, ce n'est pas qu'une programmation et ciao. Quand j'avais fait le téléfilm "Marion, 13 ans pour toujours", c'était suivi d'un échange et d'un débat derrière. Là avec "Olympe, une femme dans la Révolution", il y a un accompagnement. On va aller visiter 28 collèges du Tarn-et-Garonne, du Gers et de l'Aveyron, pour montrer le film. C'est aussi ça la force de France Télévisions. Ils ont des outils, comme Lumni (une plateforme éducative numérique permettant aux élèves de la maternelle à la terminale de consolider les notions des programmes scolaires, ndlr), qui permettent de faire plus qu'un simple téléfilm.
A lire aussi : Anne Holmes, patronne des fictions de France Télévisions : "Nous avons pris plus de risques cette année que les saisons précédentes"
Quelle liberté vous a offert France Télévisions ?
Tout. Vraiment. Par exemple, les comédiens qui sont dans le téléfilm, nous avons pu les choisir sans faire d'essais, juste parce que nous on les connaissait et qu'on les voulait.
Vous racontez l'histoire d'Olympe de Gouges dans un téléfilm de 90 minutes. Comment réussit-on à faire rentrer toute sa vie, ses combats, en 1h30 ?
Premièrement, on a lu tout ses textes, son théâtre, sa philosophie. Résumer toute sa vie en 90 minutes, c'est évidemment beaucoup de frustrations. On utilise des ellipses, des flashbacks, etc... Elle a mené tellement de combats, vécu tellement d'histoires qu'il y a beaucoup de choses que nous n'avons pas pu mettre, ni dire. Ce qui nous a rassuré c'est qu'avec l'aide de Flammarion nous allons sortir, le jour de la diffusion sur France 2, une novélisation du scénario beaucoup plus conséquente. On l'a fait lire à des historiennes, on leur a expliqué les choix qu'on avait faits pour le bien du téléfilm et elles les ont validés. C'était important pour nous.
Deux siècles plus tard, en quoi ses combats sont-ils toujours d'actualité ?
Ils sont dramatiquement d'actualité. Sur l'égalité, la parité... Moi par exemple en tant que femme, je travaille gratuitement à partir du mois novembre... Une femme, en France, c'est 17% de salaire de moins qu’un homme. C'est 9% de différence en Europe, parce que les pays du Nord nous aident, mais c'est 17% de moins en France. À études égales, à niveau égal, les femmes gagnent moins que les hommes.
Elle était vraiment moderne. Elle a beaucoup parlé des femmes dont les hommes leur promettent de les épouser, leur font un enfant, et puis tout à coup, disparaissent, et elles se retrouvent à l'Hôtel-Dieu, avec rien... Elle a même parlé des femmes qui sont parfois plus violentes avec les autres femmes, parce qu'elles sont dans une compétition... Elle a évoqué beaucoup, beaucoup de sujets. Il faut relire toute sa philosophie, tout ce qu'elle a écrit. C'est passionnant.
Est-ce que dans votre fiction, il y a quand même une part de fiction, justement ?
Les enfants qui s'évadent de la prison, ça, c'est la part de fiction dans "Olympe, une femme dans la Révolution". Même la tentation d'évasion d'Olympe à la fin pour échapper à son procès, c'est de la fiction. En réalité, elle voulait ce procès. Elle ne voulait pas du tout y échapper. A la fin de procès, quand elle comprend qu'elle va être condamnée, elle a quand même lancé "Je suis enceinte" pour éviter la peine de mort (elle a été guillotinée le 3 novembre 1793, ndlr). Mais on avait déjà une intrigue similaire donc on l'a enlevé. On a plus enlevé de choses que l'inverse. On a essayé de garder au maximum la véracité de ce qu’elle a vécu. Globalement, les historiennes étaient quand même très positives sur le résultat.
Comment, en tant qu'actrice, avez-vous travaillé ce rôle, ce phrasé de l'époque si particulier ?
On a eu une grosse discussion avec Mathieu (Busson) et toutes les équipes. On a fait énormément de lectures par exemple. Il fallait qu'il y ait une modernité, et en même temps, au début on entend sa voix lire ses écrits, ses vrais textes, ses lettres... J'ai envie de dire qu'en tant qu'actrice on joue sur le fil en permanence.
À la fin du téléfilm, vous dites : "Mesdames, il est temps de rompre vos chaînes". Est-ce que les femmes ont réussi à s'affranchir aujourd'hui ?
Non. On y a cru, à un moment donné, avec la Women's March après la première élection de Donald Trump et cette campagne présidentielle d'une misogynie rare. Il avait dit cette phrase incroyable : "When you're famous, you can grab them by the pussy". Après cette élection, il y avait eu une grande marche aux Etats-Unis, où certains Américains avaient défilé dans la rue pour soutenir les femmes. On s'était dit "c'est dingue, tout est en train de changer". Enfin la libération de la parole des femmes. Et puis, petit à petit, on est reparti en arrière. On nous a sorti des "Ça va, vous êtes calmées, là, c'est bon, on peut recommencer comme avant."
Il faut quand même se rendre compte que la moitié de la France, à l'époque de la Révolution Française, n'avait pas voix au chapitre. Et encore aujourd'hui, je pense que sur plein de sujets, c'est compliqué. Mais soyons positifs, les choses bougent. Par exemple sur le football, il y a plus de licences de foot féminin aujourd'hui que de danse féminine. Quand un club s'ouvre, elles y vont. Elles ne vont pas manifester pour avoir le droit d'y jouer, mais quand un club s'ouvre, elles y vont. Ça avance, doucement mais ça avance.
On a assisté durant l'été 2024 aux premiers Jeux Olympiques paritaires, vous vous rendez compte ? Les derniers Jeux olympiques au Brésil, ce n'était pas paritaire. Mais c'était la première fois qu'une athlète osait dire qu'elle avait fait un mauvais score à cause de ses règles. On a parlé des règles. Ça a même fait la couverture de 'Courrier International' et de 'L'Équipe'. Là, on est paritaire. Il y a quand même des avancées. La Coupe du Monde féminine a été diffusée sur France Télévisions et M6 par exemple.
Maintenant, il faut se battre pour que les filles soient payées autant que les garçons. Je parle du football parce que c'est le sport le plus populaire. Et, si on avance sur le foot féminin, on avancera sur les règles, l'endométriose, la ménopause... On a encore beaucoup de boulot. J'espère qu'avec ce téléfilm, on fera prendre conscience de toutes ces problématiques à plein de gens.