Interview
Thierry Thuillier (TF1) : "Nous produisons chaque jour l'équivalent d'un troisième JT"
Publié le 2 avril 2020 à 16:32
Par Benjamin Meffre
Le patron de l'info de TF1 a répondu aux questions de puremedias.com alors que la Une proposera ce soir un prime spécial autour d'Edouard Philippe.
Thierry Thuillier Thierry Thuillier© TF1
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Retour de la politique en prime time sur TF1. Une fois n'est pas coutume, la Une proposera ce soir une émission spéciale autour d'Edouard Philippe au cours de laquelle le Premier ministre répondra aux questions de Gilles Bouleau sur la crise sanitaire inédite que traverse actuellement le pays. Au menu : les mesures prises pour lutter contre la propagation du COVID-19 dans l'Hexagone, les différents scenarii de déconfinement à l'étude mais aussi les conséquences pour l'économie de la situation actuelle. D'une durée de 1h30, ce prime time évènementiel sera co-produit par TF1 et Particules productions, la société de David Pujadas. La soirée sera quant à elle co-diffusée sur TF1 et LCI.

A quelques heures de son lancement, puremedias.com a pu interroger Thierry Thuillier, le directeur de l'information du groupe TF1. L'occasion d'évoquer avec lui l'organisation du service info de la Une durant cette période inédite, l'arrivée compliquée de "Sept à Huit" en quotidienne sur TF1, mais aussi les bonnes audiences des JT de la Une et le record historique de LCI en mars.

Propos recueillis par Benjamin Meffre.

puremedias.com : Le prime de ce soir marque-t-il le grand retour de la politique en prime time sur TF1 ?
Thierry Thuiller : Le prime de ce soir marque le choix fort de TF1 de faire de l'information à une heure inhabituelle pour la chaîne, en prime time. C'est un choix de responsabilité. Ce n'est pas la première fois que nous le faisons puisqu'il y avait eu par le passé de grandes soirées politiques, à l'occasion de la présidentielle par exemple. Là, les circonstances sont telles que nous nous devions de proposer ce prime time aux Français. Nous avons beaucoup de questions à poser au Premier ministre. S'il est venu deux fois dans nos journaux ces dernières semaines (dans le "13 Heures" le 13 mars, et dans le "20 Heures" le 23 mars, ndlr), il ne s'est exprimé à ces occasions que 15 à 25 minutes. Ce soir, nous aurons 1h30 pour pouvoir échanger avec lui. Avec cette soirée, nous tâchons avant toute chose de remplir une fonction sociétale et un rôle de rassemblement. TF1 n'est pas seulement une chaîne privée. C'est aussi une chaîne qui, de par son histoire singulière, sa capacité à fédérer, a un lien particulier avec les Français, un lien qui s'exprime en ce moment via l'information.

Comment faire encore apprendre des choses aux téléspectateurs sur l'épidémie alors que cette actualité est traitée depuis plusieurs semaines avec une intensité inédite par toutes les chaînes de télévision faisant de l'information ?
La situation évolue tous les jours en France et dans le monde. Il y a un besoin fort d'explications. Nous le ressentons à travers les questions que les Français nous envoient tous les jours. Plusieurs seront d'ailleurs diffusées à l'antenne ce soir. Par exemple sur le masque : "Faut-il le porter ou non, en permanence ou pas ? Le virus se propage-t-il dans l'air ou pas ?" Et au-delà de ces questions sanitaires, il y a aussi de nombreuses interrogations sur l'après. Par "après", j'entends le déconfinement et ses différents scénarii. "Va-t-on être tous testés ou pas avant de pouvoir sortir de chez nous ? Que se passera-t-il si nous sommes testés positifs ?" Il y a également de nombreuses questions économiques que nous traiterons avec François Lenglet : "Que vais-je devenir en tant que salarié et que va devenir mon entreprise ? Est-ce que les restrictions d'activité vont durer trois semaines ou six mois ?"

"80% des infographies que vous voyez à l'antenne sont faites par nos graphistes depuis chez eux" Thierry Thuillier

D'autant que le Premier ministre ne sera pas le seul intervenant ?
Oui, en plus d'Edouard Philippe, qui sera avec nous en duplex, nous aurons sur le plateau un certain nombre de médecins exerçant des spécialités différentes. Nous aurons par exemple l'infectiologue Karine Lacombe, que nous avons découvert à l'occasion de "La grande confrontation" de David Pujadas. Nous aurons Anthony Chauvin, médecin urgentiste à l'hôpital Lariboisière à Paris, que nous avons déjà interviewé dans notre "20 Heures". Nous aurons aussi Vincent Enouf, l'un des dirigeants de l'Institut Pasteur, avec qui nous allons évoquer la question des tests et du potentiel vaccin. Nous aurons aussi Xavier Pothet, notre médecin généraliste, pour évoquer le sujet des masques. Ces quatre personnes se relaieront jeudi soir pour répondre aux différentes thématiques abordées toute la soirée.

Où sera tourné le prime de ce soir ?
Sur le plateau du "20 Heures", dont le prime sera la continuité.

Comment le service information de TF1 s'est-il organisé face à cette crise sanitaire inédite ?
Le groupe TF1 a pris des mesures fortes très en amont. Il y a déjà près d'un mois, le groupe a identifié comme une urgence absolue la protection des régies de diffusion. Quinze jours avant que ne soit décrété le confinement, TF1 a ainsi fait passer au télétravail l'ensemble de ce qu'on appelle dans notre jargon les fonctions supports (services finances, RH, com' etc.), ainsi que les équipes programmes. Cela représente 700 à 800 personnes ! Le week-end précédant la mise en oeuvre du confinement (les 14 et 15 mars, ndlr), la direction de l'info a également décidé de fermer deux régies sur quatre, et un plateau de LCI afin de pouvoir s'en servir comme solution de secours.

Nous avons aussi mis de nombreux collaborateurs en télé-travail, dont l'intégralité du digital, ainsi que nos équipes d'infographistes. Pour ces derniers, nous avons dû installer à leur domicile en 48 heures - merci à la direction technique au passage - le matériel servant aux graphistes pour travailler. Ainsi, 80% des infographies que vous voyez désormais à l'antenne sont faites par nos graphistes depuis chez eux. Nous avons enfin décidé de nous appuyer, outre notre formidable réseau de reporters de la PQR (presse quotidienne régionale, ndlr), sur une dizaine de binômes JRI-Rédacteurs que nous avons constitués pour l'occasion et qui agissent désormais en totale autonomie. Nous leur avons donné leur matériel de tournage, de transmission et de protection, afin qu'ils n'aient plus à repasser au siège de TF1. Ils opèrent ainsi depuis leur domicile ou des appartements-hôtels mis à leur disposition. Le but est évidemment encore une fois de limiter les allées et venues au sein du siège et de protéger les régies, les salles de montage et le bocal de LCI.

"Entre 25 et 30% des effectifs du pôle info travaillent encore au siège" Thierry Thuillier

Combien de personnes de l'info travaillent encore au siège de TF1 ?
Si on ajoute TF1 et LCI, je dirais environ 250 personnes, sur les près de 600 que compte habituellement le pôle info, soit entre 25 et 30%. En comptant les reporters de la PQR, soit 60 à 70 personnes, nous avons près d'une centaine de personnes encore sur le terrain. Notre capacité de production éditoriale n'est pas entamée et tant mieux d'ailleurs, car nous produisons chaque jour l'équivalent d'un troisième JT. C'est ce qui nous permet aussi de maintenir autant de reportages dans nos journaux.

Beaucoup de vos collaborateurs sont-ils frappés par l'épidémie ?
Nous avons une quarantaine d'arrêts maladie en cours, pour des tests positifs au coronavirus mais aussi pour d'autres raisons. Ce chiffre ne me paraît donc pas très significatif, surtout qu'il est stable depuis une dizaine de jours, ce qui est une très bonne nouvelle.

Cette crise n'est-elle pas un accélérateur pour la mutualisation des moyens entre TF1 et LCI ?
Nous avons indéniablement des collaborations très étroites en ce moment, à l'image de ce prime avec Edouard Philippe qui sera co-produit par TF1 et Particules productions, la société de David Pujadas oeuvrant d'habitude sur LCI. Le service programmation de LCI travaille aussi pour TF1 en ce moment par exemple. Nous avons besoin en revanche de conserver des équipes dédiées au "13 Heures" et au "20 Heures". Il n'est pas possible de passer d'un "je suis en live" pour LCI, à une logique de reportage pour un JT du soir de TF1 qui dure 50 minutes. Donc non, nous ne sommes pas dans une fusion accélérée des rédactions. Je pense qu'il faut que chaque antenne garde sa promesse spécifique - du reportage pour TF1, du talk pour LCI - et que la différence soit bien identifiée par le téléspectateur. TF1 et LCI, ce n'est pas la même chose.

LCI a signé en mars un record historique d'audience. Est-ce, malgré le contexte, une satisfaction personnelle ?
Nous, ce que nous voulons, c'est être le plus exemplaire possible sur nos deux antennes. Du fait de notre poids dans le paysage audiovisuel, nous avons une responsabilité particulière. Nous devons donc être particulièrement rigoureux et humbles dans l'information que nous délivrons sur nos antennes, surtout que les connaissances sur l'épidémie évoluent en temps réel et que la vérité d'hier n'est pas forcément celle du lendemain. Nous voulons avant tout être dans l'explication, la pédagogie, nous mettre au service du téléspectateur. Quand il y a de bonnes audiences, tant mieux ! Cela montre que nous rencontrons le public. Mais ce n'est pas notre préoccupation du moment.

"Je suis très fier de ce que fait 'Sept à Huit' tous les jours" Thierry Thuillier

Allez-vous tenter de co-diffuser d'autres programmes sur les deux antennes après l'échec de votre tentative de diffuser la matinale de LCI sur TF1 ?
Non, nous n'avons pas d'autres projets de co-diffusion à ce stade. Nous avons compris que le point d'achoppement était de diffuser des émissions de LCI sur TF1. En revanche, nous avons aussi compris que l'inverse, soit diffuser des programmes d'information de TF1 sur LCI comme le "13 Heures" et le "20 Heures", ne posait pas de problème au CSA. C'est pour cela que nous l'avons fait, ce qui nous permet aussi de soulager nos équipes de LCI, très sollicitées depuis plusieurs semaines.

Nous ne verrons donc pas la version quotidienne de "Sept à Huit" arriver sur LCI ?
Non, car c'est du magazine et que le magazine n'a pas vocation à être diffusé quotidiennement sur LCI.

Les audiences de "Sept à Huit"* sur TF1 en access sont faibles pour l'instant. Le programme va-t-il rester à l'antenne ?
Je suis très fier de ce que fait "Sept à Huit" tous les jours. Il faut rappeler qu'il s'agit d'une émission qui a été montée en seulement quatre jours ! C'est une prouesse éditoriale, tout comme la qualité de ce que je vois à l'antenne. Après, il est tout à fait logique que l'audience soit un peu compliquée étant donné le choix que nous avons fait de programmer de l'information dans cette case dévolue depuis des années sur TF1 à des jeux puis à de la fiction quotidienne. Nous étions parfaitement lucide sur le fait que cela allait être difficile de bousculer des habitudes ancrées dans une case aussi concurrentielle. Ce qui nous importe avant toute chose, c'est que ce soit de qualité et que cela illustre le choix stratégique de TF1 de faire de l'info à cette heure-là. Nous avons d'ailleurs rajouté une brique supplémentaire cette semaine en lançant un module d'info avant le "20 Heures".

Ce module n'a-t-il pas aussi vocation à remplacer des écrans publicitaires vidés par la crise actuelle et d'assurer une meilleure rampe de lancement au "20 Heures" que la version quotidienne de "Sept à Huit" ?
Non, cela nous permet de soulager "Sept à Huit" en matière de minutes d'antenne à délivrer chaque jour. J'ajoute que ce module nous permet aussi d'aborder d'autres sujets, comme ce qu'il se passe à l'international notamment.

"Ce que nous vivons est quelque chose de totalement inédit" Thierry Thuillier

Anticipez-vous une diminution de la consommation d'information par les Français, désireux de regarder des programmes moins anxiogènes ? Allez-vous développer des angles journalistiques plus positifs sur la crise dans les jours qui viennent ?
TF1 l'a déjà intégré en maintenant par exemple ses programmes de prime habituels, qu'il s'agisse de "Koh-Lanta" ou de "The Voice" par exemple. Dans nos journaux, nous avons aussi déjà évolué. Si nous traitons toujours de la dure actualité dans les hôpitaux, nous avons aussi développé des sujets sur les Français qui ont guéri de la maladie ou sur ceux qui continuent de travailler. Nous avons également lancé de nouveaux formats, comme "Ma nouvelle vie", une série dans laquelle les personnes découvertes dans "20 Heures, le mag", ont accepté de nous raconter leur quotidien. Il y a une quinzaine de jours, nous leur avons ainsi fourni des iphones, un book de réalisation pour qu'ils se filment eux-mêmes dans leur quotidien souvent très actif. Le résultat est de grande qualité. Nous avons aussi lancé un format intitulé "La France confinée vue du ciel" avec des images aériennes des grandes villes mais aussi de nos magnifiques campagnes. Cela participe aussi d'une forme de diversification de notre offre d'information. C'est une manière de partager malgré tout des ondes positives.

Cette crise est-elle totalement inédite pour le journaliste et patron de l'info expérimenté que vous êtes ?
Oui, c'est franchement du jamais vu. Au cours de ma carrière, j'ai pourtant connu des guerres, des attentats, la crise des Gilets jaunes. Mais ce qui est notamment inédit dans cette crise, c'est sa durée - dont nous ignorons tout pour l'instant d'ailleurs. Ce qui est aussi très nouveau pour les journalistes, c'est que nous sommes à la fois observateurs de ce qu'il se passe, et frappés comme n'importe quel Français par ce que l'on décrit dans nos journaux. Le fait de vivre cette crise dans notre intimité est une chose que je n'aurais jamais pu imaginer. Nous l'avons un peu vécu sous forme de peur lors des attentats. Mais cela avait été très ponctuel. Là, nous le vivons au quotidien, avec nos familles qui sont confinées, nos enfants qui ne vont plus à l'école, la crainte d'être ou que l'un de nos proches soit contaminé.

J'ai aussi la responsabilité de protéger nos collaborateurs de tout risque de santé, tout en devant leur permettre de continuer à faire leur boulot. Tous ces facteurs mis bout à bout font que ce que nous vivons est quelque chose de totalement inédit. Cela donne une certaine gravité quotidienne à ce que nous faisons. Nous allons à l'essentiel et sommes très concentrés. Je veux d'ailleurs rendre vraiment hommage à toutes les équipes de l'info de TF1, techniciens comme journalistes, qui sont mobilisés comme jamais malgré un contexte personnel très complexe à gérer. Merci à eux.

* Produit par Elephant, société appartenant à Webedia, éditeur de puremedias.com

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