"Nous avons refusé tout entretien pour ne pas rajouter à l'horreur". Olivier Poubelle et Jules Frutos, les co-dirigeants et co-propriétaires du Bataclan, sortent de leur silence. Ils ont accordé une interview au Monde. Publié ce matin sur le site du quotidien, cet entretien aborde le traumatisme vécu par les patrons de la salle, par leurs équipes et l'avenir.
Les deux dirigeants qui possèdent cinq salles de concert n'étaient pas sur place au moment du drame. Ils évoquent le sentiment de culpabilité qui ne les quitte pas. "Si on réunit des gens dans une salle, ce n'est pas pour les faire disparaître...C'est une question sans solution, ce qui nous arrive. Aujourd'hui, c'est très difficile de travailler, on a peu de résistance. On ne se remet pas", raconte Jules Frutos.
"La génération Bataclan, c'est impudique"
Ils se défendent aussi. Certaines personnes ont argué que la salle était une cible facile. "Quand trois terroristes arrivent avec une kalachnikov pour tuer le plus de monde possible et sont prêts à mourir, ce ne sont pas 20 mètres de plus qui changent les choses. Le Bataclan respectait les règles de sécurité, comme les autres salles à Paris. Ce débat n'a pas de sens", tempère Olivier Poubelle.
Pour eux, il n'existe pas de "génération Bataclan", une expression née au lendemain des attentats. "Quand j'entends ici et là qu'une génération Bataclan a été fauchée, ça ne correspond à rien. C'est même impudique, comme tout slogan dans ces moments-là. Il y a des profils différents, des âges différents, dix-sept nationalités parmi les victimes de tous les attentats. La seule chose à dire, c'est qu'une joie de vivre a été assassinée. (...) Attention aux analyses réductrices", juge Olivier Poubelle. "Génération Bataclan, c'est un copié-collé paresseux de la 'génération Charlie', un truc médiatique à la limite de l'irrespect qui, là encore, vise à transformer l'événement en spectacle. C'est d'abord un public qui a été tué. Un public réuni pour écouter de la musique en live", ajoute Jules Frutos.
La réouverture n'aura pas lieu avant fin 2016
La police a déconseillé aux deux dirigeants de retourner dans la salle. Mais tous les jours, ils se rendent devant. "C'est la vie que l'on voit ! Ça me conforte dans l'idée qu'il ne faut pas en faire un mausolée. Ni un lieu de pèlerinage. Du reste, personne ne le réclame", explique Jules Frutos.
Quant à la grande question de l'avenir de la salle, elle se heurte pour l'instant à de nombreuses interrogations. "Les équipes veulent une reconstruction, les artistes aussi. On en parle beaucoup. Il y a un désir de Bataclan et de retrouvailles. Mais ce sera un long chemin de croix. La salle sera respectée, on ne va pas la détruire. Mais beaucoup de questions se posent. Quelle salle rouvrir ? Que faire du hall ? Quelle configuration ? Quelle couleur ? Quelle circulation ? Quels accès ? Quels artistes ?", s'interroge Jules Frutos.
"Sur Facebook, des milliers de témoignages nous appellent à rouvrir. La reconstruction, c'est un objectif qui nous aide à tenir. On en a besoin. Mais que fera-t-on après ? Est-ce que Jules et moi aurons envie de poursuivre l'aventure ? Avec quel projet ? Comment allons-nous réagir quand nous allons retourner dans la salle ? Est-ce une histoire terminée, qui en annonce une autre ? Nous parlons aussi de tout cela avec les équipes de Lagardère, l'actionnaire majoritaire, qui souhaite la réouverture", complète son associé. Tous deux évoquent néanmoins une réouverture souhaitée pour la fin 2016.