Recommandation. Certains documentaires marquent plus que d'autres. Avec "Un silence si bruyant", produit par Haut et Court et diffusé ce dimanche 24 septembre à 23h10, M6 fait le choix d'être à la hauteur de son ambition de "faire bouger les lignes". Pour l'occasion, la Six se pare de la voix d'Emmanuelle Béart, accompagnée par la réalisatrice Anastasia Mikova. L'actrice, fil rouge de l'heure quarante du film, se confie pour la première fois sur l'inceste qu'elle a subi entre ses 10 et ses 14 ans.
"Je hurle dans le silence comme des milliers d'autres que personne n'entend"
Le regard vide, la mine morose, elle apparaît dès les première minutes du documentaire, illuminée par un halo de lumière. À ses côtés, une dizaine d'autres personnes sont éclairées, debout, pour illustrer les 10%. Un pourcentage qui représente un enfant sur dix qui vit ou vivront le fracas de l'inceste sur leur vie. La lumière symbolise cette parole rare, trop peu entendue et souvent trop peu écoutée mais auquel le film laisse toute la place.
"J'ai onze ans. C'est la nuit j'en suis sûre. Tu déchires mon sommeil comme tu déchires sans bruit aucun, ma chemise de nuit. Comme si cet arrêt dans le temps, ce silence polaire te laissait tout l'espace. Et comme si déjà, il était inscrit que personne ne témoignerait jamais", raconte la comédienne désormais âgée de 60 ans. "Et si mon père, ma mère, mon école, mes amis, ne voient rien, c'est que tout peut recommencer. Et tu recommenceras pendant quatre ans (...) Je hurle dans le silence comme des milliers d'autres que personne n'entend".
"Nous ne voulons plus de ce silence si bruyant"
Ce silence persistera des années durant et jamais l'actrice ne s'exprimera publiquement sur le sujet jusqu'à sa rencontre avec la réalisatrice franco-ukrainienne Anastasia Mikova. Elle la convainc de témoigner à son tour, de ne plus porter la parole des autres et surtout de faire entendre la sienne. "J'ai besoin de sa distance, de son extrême clairvoyance pour confronter ma réalité à celle des autres. Avec elle à mes côtés, je décide de faire un film", raconte-t-elle en voix off.
Le tandem est allé à la rencontre de Norma, Pascale, Joachim, Sara et sa fille. Autant de témoins qui illustrent le chemin de croix emprunté par les victimes dont les blessures sont toujours béantes malgré les années. "Bataille face à la justice, face au mutisme de la société, pour avancer, pour se reconstruire. Parce qu'un enfant blessé peut devenir un adulte combatif. C'est ce que nous sommes aussi. Nous ne voulons plus de ce silence si bruyant", conclut Emmanuelle Béart en introduction du documentaire. Avec son regard de victime, elle pose les questions et détricote le fil des récits et les noeuds qui se forment dans l'enfance.
Des témoignages qui bouleversent, loin du mélodrame
Tour à tour, le film choral accorde la voix à ces personnes dont les souvenirs, troublés par le temps et la souffrance, se succèdent. Pour reconstituer leurs récits, des dessins s'animent à l'écran sur des mélodies au piano. Autant de choix de réalisation qui font d'"Un silence si bruyant" un film qui ne plonge jamais dans le mélodrame et qui parvient à faire un récit précis malgré la lourdeur du sujet pour faire cesser ce silence.
Les victimes racontent la peur, celle qui "fait partie du voyage", selon les mots d'Emmanuelle Béart. Mais celle qu'il faudrait substituer à tous les enfants pour que l'inceste ne puisse plus se frayer un chemin dans les foyers. Ce silence laisse place à la culpabilité racontée sans fard par les protagonistes, avant d'entamer un combat judiciaire parfois semé d'embûches ou même vain.
"Au vu de l'ampleur de se désastre, nous pouvons tous nous demander quelle est cette société où, dans le fond, on a l'impression que chacun est d'accord pour ne pas lutter contre. (...) Ce film existe. Je ne sais pas encore les répercussions qu'il aura sur moi mais je sais que je l'ai fait par amour pour l'enfant que j'ai été", assure la comédienne. Un véritable coup de force qui ne laisse pas indemne.