Jean-Michel Aphatie : "Emmanuel Macron a peu réfléchi à ce que devait être la communication d'un président"

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Jean-Michel Aphatie : "Emmanuel Macron a peu réfléchi à ce que devait être la communication d'un président"
Par Benjamin Meffre Journaliste
Passionné par les médias, l’économie et la politique, Benjamin est rédacteur en chef de puremedias.com dont il a intégré la rédaction en 2013.
Le générique de "C l'hebdo" © Patrick Fouque pour FTV
L'éditorialiste publie un livre baptisé "Les amateurs" dédié au quinquennat d'Emmanuel Macron.

Observateur de la vie politique depuis près de 40 ans, Jean-Michel Aphatie consacre un livre au quinquennat d'Emmanuel Macron. Intitulé "Les amateurs" (Editions Flammarion), celui-ci fait le procès en incompétence de la macronie depuis son installation au pouvoir en 2017, notamment dans sa relation aux médias. Le chroniqueur de "C l'hebdo" sur France 5 et de "24h Pujadas" sur LCI pose aussi dans cet ouvrage un regard critique sur le travail des journalistes depuis le début du mandat du chef de l'Etat en 2017. puremedias.com est parti l'interroger*.

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Propos recueillis par Benjamin Meffre

puremedias.com : Dans votre livre, vous taxez le quinquennat macroniste d'amateurisme généralisé. Diriez-vous qu'il était aussi amateur dans son rapport aux médias ?
Jean-Michel Aphatie
: Je pense qu'Emmanuel Macron a peu réfléchi à ce que devait être la communication d'un président de la République. Il a dessiné une posture jupitérienne qui a eu pour conséquence de mettre à distance les journalistes et d'instiller une forme de mépris. Ce n'est pas une bonne réponse. Une mécanique de pouvoir doit communiquer, expliquer et accepter la critique. La posture jupitérienne, c'est pour les enfants, pas pour la vraie vie. Donc oui, dans la conception des choses, c'était un peu de l'amateurisme.

Cette "posture jupitérienne" se voulait une forme de rupture avec la relation de proximité entretenue par François Hollande avec les journalistes lors du quinquennat précédent...
François Hollande a toujours aimé les journalistes. Il en a laissé certains s'introduire trop près du coeur du pouvoir, et notamment Gérard Davet et Fabrice Lhomme (auteurs d'"Un président ne devrait pas dire ça", ndlr). C'est bien sûr une faiblesse. Mais on ne définit pas une relation avec les journalistes en faisant simplement l'inverse de ce qu'a fait François Hollande. On doit définir une communication en fonction des actions qu'on mène et des objectifs que l'on vise. Aujourd'hui, la relation de la macronie aux médias s'est cependant améliorée par rapport au début du quinquennat. Il y a des gens disponibles, qui acceptent le dialogue. Les deux premières années de mandat ont en revanche été stupides du point de vue de la communication. Vous n'aviez personne au bout du fil et quand vous aviez quelqu'un, c'était pour ne rien vous dire. Conséquence, le pouvoir ne pouvait pas faire passer les messages qu'il voulait faire passer dans la presse.

Emmanuel Macron a-t-il selon vous un goût de la transgression dans son rapports aux médias ?
Oui. Mais la transgression quand on a 20 ans, ça a un sens. Quand on a 40 ans et qu'on est président de la République, à quoi cela sert-il ? A fâcher des gens ?

Cela peut servir à parler à d'autres publics comme lorsque le chef de l'Etat fait une vidéo Youtube avec McFly et Carlito pour s'adresser aux jeunes ?
Pour moi, ce n'est pas véritablement de la transgression. Emmanuel Macron sollicite ces deux youtubeurs pour faire passer des messages sanitaires auprès des jeunes. Le dialogue se noue à ce moment-là et il y a une contrepartie : la vidéo à l'Elysée. Si on oublie le début, on ne comprend pas la suite. McFly et Carlito n'arrivent pas à l'Elysée par la voie du ciel. Pour faire passer un message aux plus jeunes sur les gestes barrières, il valait sans doute mieux les solliciter, eux, que Philippe Bouvard...

Ils ont dit
"Je me moque un peu de Bruno Roger-Petit"
Jean-Michel Aphatie

Vous décrivez dans votre livre Sibeth Ndiaye, fraîchement nommée porte-parole et incapable de pousser la porte de son premier point-presse tant l'angoisse l'étreint. Cette peur physique des journalistes est-elle plus répandue qu'on ne le pense chez les politiques ?
Oui. Pour un ministre, pousser la porte et avoir 50 journalistes qui vous attendent, ça donne un trac digne de Jacques Brel avant d'entrer en scène ! Ils savent qu'ils ne bénéficieront d'aucune indulgence et qu'un seul mot déplacé de leur part aura des répercussions énormes. Sibeth Ndiaye me raconte d'ailleurs l'histoire d'un porte-parole du gouvernement précédent qui vomissait régulièrement avant ses points-presse.

Ces points-presse hebdomadaires après les conseils des ministres sont-ils toujours utiles en 2021 ?
Oui, c'est utile. Cela fait partie de la démocratie. Un conseil des ministres vient de se tenir, il est important, démocratiquement, de savoir ce qu'il s'y est dit.

Vous évoquez aussi dans votre ouvrage la dureté envers les journalistes dont peut faire preuve la même Sibeth Ndiaye. Elle aurait par exemple lancé à un reporter : "Toi t'es mort, tu n'auras plus rien"...
Elle n'est pas la seule à avoir recours à ce genre de phrases. Sibeth Ndiaye a une forme de brutalité. C'est un soldat au service d'Emmanuel Macron qui, comme elle le dit elle-même, est prête à mentir pour protéger le président. Elle avait parfois de mauvais réglages avec la presse.

Dans votre livre, vous évoquez aussi le cas de Bruno Roger-Petit, ex-journaliste devenu porte-parole de l'Elysée en 2017. Est-ce que ces transferts entre les deux milieux ne desservent pas autant le journalisme que la politique ?
Je dirais que non. Faire de la politique, c'est servir la collectivité. C'est bien qu'il y ait des gens qui acceptent de quitter une position professionnelle pour s'occuper des affaires publiques. Ils peuvent être bouchers, cordonniers mais aussi journalistes. Si on définit une profession qui n'aurait pas le droit d'accepter une fonction publique, on définirait quelque chose d'artificiel. On ne peut pas a priori conceptualiser le fait que des journalistes ne pourront pas franchir le pas de la politique. Cela ne me paraît pas juste comme pensée. Dans le livre, je me moque cependant un peu de Bruno Roger-Petit qui, quand il écrivait dans "Challenges", disait d'Emmanuel Macron qu'il était un génie. Quand il dit qu'il n'y a pas de lien entre le contenu de ses papiers et sa nomination, on peut le croire ou on peut ne pas le croire...

Ils ont dit
"Le travail n'a pas été fait lors de l'affaire Hulot"
Jean-Michel Aphatie

Vous revenez aussi longuement dans votre livre sur le traitement de l'affaire Hulot par les médias. Vous estimez qu'ils n'ont pas bien fait leur travail à ce moment-là...
Oui, je dirais même que le travail n'a pas été fait. Le papier d'"Ebdo" (paru en 2018 et relatant le dépôt d'une plainte pour viol contre Nicolas Hulot en 2008, classée sans suite, ndlr) est mal fait mais apporte une information : une plainte pour viol a été déposée contre Nicolas Hulot. C'est colossal ! Je rappelle qu'à l'époque de ces révélations, Nicolas Hulot est un poids lourd du gouvernement. "Ebdo" dit aussi que Nicolas Hulot et son accusatrice se sont croisés 10 ans avant le dépôt de la plainte, en 1997. Ce qui m'intéresse c'est comment la machine médiatique traite cette information. Elle ne la traite pas. Au motif que la victime présumée ne veut pas s'exprimer, elle ne cherche pas à savoir. Elle ne cherche pas à savoir comment la rencontre s'est nouée, ce qui a pu se passer, comment un homme de 42 ans à l'époque, en 1997, rencontre une photographe de 19 ans. La presse ne cherche rien.

Vous critiquez aussi durement l'interview de Nicolas Hulot que réalise Jean-Jacques Bourdin juste avant la parution de l'enquête d'"Ebdo"...
Parce que je pense qu'il a fait ce qu'il ne fallait pas faire. Le premier qui met la presse sur de mauvais rails, c'est Jean-Jacques Bourdin. Il accueille Nicolas Hulot la veille de la publication de l'enquête. On entend en écoutant l'interview qu'il n'a pas lu l'enquête. Les seules questions que pose Jean-Jacques Bourdin concernent la souffrance que ressent son invité et s'il va démissionner du gouvernement. La victime devient Nicolas Hulot. Ce moment sera fondateur de deux manières. Tout d'abord, Nicolas Hulot renverra ensuite systématiquement vers cette interview avec Jean-Jacques Bourdin dès qu'on le questionnera de nouveau sur cette affaire, sur le mode "J'ai tout dit". Et puis dès le jeudi 8 février, le pouvoir se met au carré. Bruno Roger-Petit évoque "la sérénité de marbre" du président de la République. Edouard Philippe dit que Nicolas Hulot s'est très bien expliqué. Marlène Schiappa affirme que Nicolas Hulot est un homme bien. Et puis plus rien ensuite... Cette interview est un coup de génie à étudier dans toutes les écoles de communication.

Pourquoi les journalistes n'ont-ils selon vous pas cherché à creuser cette affaire ?
Il n'y a que des hypothèses. Moi, ce qui me met en mouvement, c'est la négation de la victime présumée dans cette affaire. On ne peut pas dire que le mouvement #Metoo est formidable et la négliger comme on l'a fait. Sinon, c'est que nous n'avons tiré aucune leçon de #Metoo. Il se trouve que la personne accusée est la plus populaire de France. Il me paraît évident, même si cela reste une hypothèse, que la popularité de Nicolas Hulot est une protection. D'habitude, vous avez toujours un titre de presse qui cherche. Là, aucun. La machine ne s'est pas mise en mouvement. Comment l'expliquer sinon par la force de l'image publique de Nicolas Hulot ?

Comment avez-vous la certitude qu'aucune enquête n'a été menée par des journalistes sur cette affaire ?
J'amène des éléments nouveaux sur cette affaire dans mon livre. S'ils ont cherché, ils n'ont pas beaucoup fouillé...

Ils ont dit
"Je n'ai aucune envie d'être candidat à la présidentielle"
Jean-Michel Aphatie

Vous terminez votre livre en évoquant Eric Zemmour qui a commencé comme vous sa carrière de journaliste politique à la fin des années 1980. Vous écrivez : "Il y a longtemps qu'Eric Zemmour a cessé d'être journaliste, s'il l'a été un jour". Pour vous, il ne l'a jamais été ?
Non, il l'a été puisque des gens l'ont embauché en tant que journaliste...

"Nous avons une responsabilité, nous les médias. Nous avons fabriqué Éric Zemmour", disiez-vous récemment dans "C l'hebdo" sur France 5. Qui visez-vous ?
Eric Zemmour commence à être condamné pour incitation à la haine à partir du début des années 2010. Tous les gens qui continuent à l'employer ensuite savent qui ils emploient...

Vous avez travaillé sur la même radio que lui, RTL, pendant plusieurs années. Quels étaient vos rapports à l'époque ?
Des plus lointains. On m'a proposé de débattre avec lui plusieurs fois. J'ai toujours refusé.

A force de commenter la vie politique, n'êtes-vous tenté de vous lancer en politique ?
Jamais ! Je n'ai aucune envie d'être candidat à la présidentielle (rires).

Que pensez-vous de la proposition de Stéphane Séjourné de décompter le temps de parole des éditorialistes "les plus engagés" ?
C'est stupide. Faire des éditoriaux, c'est aussi du journalisme. Cela consiste à incarner des sentiments autour de l'actualité. Les éditorialistes, même les plus engagés, ne peuvent pas être décomptés dans un camp politique. Dans le cas d'Eric Zemmour, c'est un peu différent puisqu'il existe une association de financement de sa possible future campagne, des affiches, des sondages...

Ils ont dit
"Arnaud Lagardère a tenté trop de relances d'Europe 1 sans continuité"
Jean-Michel Aphatie

Vous avez travaillé sur Europe 1. Que vous inspire l'arrivée de Vincent Bolloré à la tête de sa maison-mère, Lagardère ?
Arnaud Lagardère a tenté trop de relances sans continuité. Il s'est usé et a perdu le fil de l'histoire. Quelqu'un le reprend, tant mieux pour Europe 1. Nous verrons bien ce qu'en seront les résultats.

Il n'est pas selon vous un danger pour la station ?
Je n'en sais rien.

Est-ce que la quasi-fin du clair en semaine sur Canal+ vous attriste, vous qui en avez été l'une des figures de proue du temps du "Grand journal" ?
Non, ça ne m'attriste pas. Cette chaîne était formidable parce qu'elle était contemporaine. Aujourd'hui...

Depuis tout ce temps, vous n'en avez pas assez de commenter la politique ?
Franchement non. Ca m'excite toujours. J'ai 20 ans pour ça. Ca m'intéresse. C'est un débat permanent. On revisite des valeurs, l'histoire d'un pays. Je n'ai aucune lassitude. J'aime ça !

* Cette interview a été réalisée le vendredi 18 septembre 2021

Jean-Michel Aphatie
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