Nouveau rôle choc pour Muriel Robin. Après avoir mis sa notoriété au service de la lutte contre les violences faites aux femmes grâce à son rôle dans "Jacqueline Sauvage" en 2018, la comédienne de 68 ans s'attaque à un nouveau problème de société à travers "Les yeux grands fermés". Dans ce téléfilm diffusé ce lundi 2 octobre à 21h10 sur TF1, Muriel Robin incarne Anne-Marie, une grand-mère qui va voir son monde s'effondrer en découvrant que son fils pourrait abuser de son petit-fils. Pour puremedias.com, l'actrice a accepté de se confier sur son rôle et ses convictions.
Propos recueillis par Benjamin Rabier
puremedias.com : Comment le sujet de l'inceste est venu à vous ? Grâce à ce projet ou c'est l'ampleur du problème qui vous a poussé à jouer ce rôle de grand-mère qui va découvrir l'impensable ?
Muriel Robin : Avant ce film, j'étais comme monsieur et madame tout le monde. Lors du tournage, je ne m'étais pas renseignée sur l'ampleur de ce fléau. Je n'avais pas besoin de chiffres, ni de connaître le sujet pour interpréter Anne-Marie. J'ai découvert l'ampleur du problème après en préparant les interviews pour la promotion du film. J'ai lu des choses à droite et à gauche. J'ai alors pris conscience de l'étendue des dégâts et c'est grave.
Qu'en est-il concrètement ?
Entre 4 et 6 millions d'enfants subissent ses abus en France, soit 1 enfant sur 3. Seulement 1% des incesteurs sont arrêtés. En France, en 2023, on est dans l'horreur. Quand vous passez devant une classe d'école, vous pouvez vous dire qu'il y a 3 gamins sur les 30 qui vivent l'horreur. Il faut sortir de ce silence et la télé est formidable pour cela. La télévision - j'en félicite notamment TF1 qui s'était déjà beaucoup engagée sur les violences conjugales - traite de sujets que le cinéma ne traite pas car personne ne se déplacerait. La télévision va permettre de faire entrer ce sujet dans les maisons et dans les familles. Peut-être que ce film fera bouger des lignes et que des parents décideront de le regarder avec leurs enfants, pour éventuellement leur expliquer ensuite ce qu'est l'inceste. Ce téléfilm peut créer des conversations et faire prendre conscience l'horreur à des familles. Les mamans seront peut-être plus attentives à certains comportements de leur enfant. Ça commence par là. On ne va pas commencer à suspecter tout le monde mais pour qu'il y ait autant d'incestés, c'est qu'il y a beaucoup d'incesteurs. C'est partout, qu'importe le niveau social. Quand j'ai découvert l'ampleur de la catastrophe, ça m'a donné encore plus raison d'avoir fait ce film. Ce projet sera une goutte de plus dans l'océan bien noir qu'est l'inceste.
Qu'est-ce qui vous a convaincu d'interpréter le personnage d'Anne-Marie ?
La qualité de l'écriture. C'est un téléfilm très bien écrit. Je sais que le sujet de l'inceste peut faire peur aux gens, que l'on n'a pas forcément envie de voir ça le soir en rentrant du boulot mais il le faut, sinon on abandonne une fois de plus nos enfants. Pour les téléspectateurs qui hésiteraient, je leur dis que "Les yeux grands fermés" est un thriller où j'incarne la maman d'un trentenaire bien sous tous rapports. Elle a un petit fils de 8 ans et il serait question que mon fils ait des comportements anormaux sur lui. Est-ce que cette grand-mère va essayer de trouver des preuves et mettre son fils en prison ? Est-ce qu'une maman peut mettre son fils en prison ? On est au coeur du sujet. L'inceste est tu dans les familles car la parole a des répercussions. Va-t-elle aller jusqu'à mettre son fils en prison ou va-t-elle laisser le sujet de côté et abandonner son petit-fils ? C'est toute la question de ce thriller.
La force de ce téléfilm est d'être toujours sur le fil, le téléspectateur ne sait jamais la vérité jusqu'au dénouement...
C'est écrit comme dans un film policier : c'est lui ou ce n'est pas lui ? Est-ce qu'elle va tout faire pour le condamner ? L'inceste est derrière, il n'y a pas d'images, tout est dans l'imaginaire. C'est pour cela que ce téléfilm est très bien fait car notre esprit travaille sans rien voir. Tout se passe dans la tête du téléspectateur.
Dans ce téléfilm, tout est suggéré, on ne voit jamais Guillaume Labbé seul avec l'enfant. Était-ce voulu dès le départ ou était-ce une contrainte liée à la diffusion en prime-time sur une chaîne grand public comme TF1 ?
C'était écrit comme cela dès le départ et franchement je ne sais pas qui pourrait écrire... Je n'arrive même pas à finir la phrase tellement c'est horrible. Qui pourrait avoir envie de regarder ce genre de films ? Restons dignes. Les suggérer et le savoir suffisent largement. Tout est raconté par la souffrance de cet enfant. Ce n'est pas la peine d'en faire plus.
"Les yeux grands fermés" montre aussi "l'incesteur" sous un signe "positif", un jeune trentenaire, gendre idéal...
Maintenant que je me suis renseignée, je peux le dire, l'incesteur est monsieur tout le monde. C'est le bon papa, le tonton adoré, le grand frère formidable. C'est vraiment dans tous les milieux sociaux. C'est juste un moment, souvent la nuit, dans le noir ou il se passe quelque chose d'horrible et ça s'arrête. Comme personne n'en parle, l'enfant lui-même se demande si cela a existé. Et il est seul avec quelque chose dont il n'est pas vraiment sûr. Il y a de quoi devenir fou. Et ça recommence le lendemain, etc... Tout autour de cet acte est tu, c'est pour cela que ça remonte souvent des années plus tard. Dès que l'incesteur sort de la chambre c'est fini, il redevient le père adoré, etc. Ce n'est pas écrit en gros incesteur sur leur front, comme c'est le cas pour les violeurs aussi.
Vous avez incarné de nombreux rôles chocs à la télévision. Comment sortez-vous de ces personnages ?
Quand on tourne un film, on tourne par décor. Pour "Jacqueline Sauvage", là où elle recevait des coups c'était dans sa maison. Donc là où on a tourné ces scènes, c'était dans un même décor. Ça a duré 10 jours. Pendant ces dix jours, personne n'a dormi dans l'équipe. Après chaque prise, il y avait un silence très fort, les filles pleuraient, certains garçons aussi. On a tous pas dormi, on était très très mal parce qu'on avait beau le vivre en faux, la violence était là. Je suis rentrée avec des bleus, quand Olivier Marchal me tirait sur la moquette, j'avais les genoux qui me brûlaient. On n'allait pas me filmer avec des protections. Quand la promotion de ce téléfilm est intervenue un an après le tournage, je m'étais engagée contre les violences conjugales. Voilà ce que je garde. Après je ne suis pas impactée dans ma vie de tous les jours. J'ai un petit bout de Jacqueline Sauvage en moi. Et maintenant, grâce aux "Yeux grands fermés", j'ai un enfant en moi qui représente tous ces enfants. Il y a tant d'horreurs dans ce monde qu'on ne peut pas toutes les mettre en soi. "Jacqueline Sauvage" date d'il y a cinq ans, là il y a ce téléfilm sur l'inceste, je ne peux pas faire des sujets comme cela tous les ans sinon je crois qu'il faudrait s'occuper de moi (rire). Mais ces sujets là me touchent, si on peut faire un peu bouger les lignes en joignant l'utile à l'agréable, tant mieux.
Les pouvoirs publics sont-ils à la hauteur sur ces questions ?
Le gouvernement me trouvera sévère mais non, nous ne sommes pas à la hauteur sur ce fléau. En découvrant les chiffres, on a du mal à y croire. On est au niveau zéro de cette lutte. C'était pareil lorsque j'ai fait "Jacqueline Sauvage". Une femme est tuée en France tous les 2 jours par son compagnon, c'est impensable. Il y a beaucoup de travail à faire, alors allons-y. Évidemment, il y a des associations qui travaillent depuis de nombreuses années et qu'il faut féliciter et remercier. La télé permet de mettre en lumière ces problématiques et ma notoriété me permet de rencontrer des gens hauts placés pour poser de vraies questions. En espérant avoir de vraies réponses... Concernant les violences conjugales, je trouve qu'en 5 ans, ce n'est pas à la hauteur du fléau. On a gagné quelques bracelets électroniques et la formation de quelques policiers, c'est trop peu. Les femmes tombent comme des mouches. On n'est pas à la hauteur. Les associations demandent 1 milliard d'euros pour copier l'Espagne, ce qui ferait diminuer de moitié le nombre d'assassinat, et sur les enfants, c'est pareil. Sauf que là, le problème est beaucoup plus complexe car il y a ce silence. Il faut à tout prix en sortir. Un incesteur qui ne reconnait pas les faits est un innocent.
Que faut-il faire selon vous ?
Il faut faire en sorte que le dialogue s'ouvre et que les enfants parlent. Reprenons l'éducation civique pour donner aux enfants des outils qui leur serviront dans leur vie. Une heure par semaine pour dire des choses de base qui ne sont pas dites dans toutes les maisons, ça ne coûterait pas grand-chose. Il s'agit d'éducation et notamment d'éduquer les garçons. La majorité des incesteurs sont des hommes. Souvent les hommes se protègent entre eux. Il faut leur dire des choses. L'école devrait être là pour éduquer. Ça me parait essentiel. Il faut trouver tous les moyens pour protéger nos enfants car c'est insupportable. On ne peut pas assister à ça et ne rien faire.
Il y a quelques années, vous avez créé une société de production avec votre épouse Anne Le Nen. Où en est-elle ? Quels sont vos projets ?
Je viens de finir l'écriture d'un scénario avec mon épouse. J'espère le tourner en 2025, si j'en ai toujours envie à ce moment-là. Cette société prendra vie au moment de faire des films de cinéma. On verra, là mon rêve c'est d'aller faire une randonnée de deux mois au Chili. A suivre (rire).
