Le pari était risqué. Journaliste d'investigation, Jean-Baptiste Rivoire a été condamné à verser plus de 150.000 € à son ancien employeur Canal+ par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, a-t-on appris ce jeudi 29 février. Il est accusé d'avoir brisé une "clause de silence" ou "de non-dénigrement" pour avoir dénoncéla mainmise de Vincent Bolloré sur le contenu de la chaîne cryptée. "La justice vient de me condamner à payer 151.500 euros. Fin 2021, j'avais osé critiquer l'interventionnisme éditorial de Vincent Bolloré dans 'Le système B', un documentaire de Reporters sans frontières", a-t-il écrit sur son compte X (ex-Twitter).
"Comme plus de 120 journalistes français ayant quitté 'I-Télé', 'Canal+', 'Europe 1', le 'JDD 'ou 'Paris Match', j'avais été contraint, suite à l'arrivée de Vincent Bolloré, de signer des clauses de silence entravant gravement la liberté d'informer" a-t-il ajouté."Dans mon cas, il s'agissait de clauses de silence À VIE. La direction de Canal+ et (son PDG) Maxime Saada voulaient m'empêcher de dévoiler les coulisses de l'éradication de 'l'esprit Canal' entre 2015 et 2021" poursuit le journaliste. "Cette lourde condamnation (...) handicape le développement de notre média indépendant 'Off investigation'", un média indépendant qu'il a fondé en 2021.
"Cette procédure constitue une entrave indéniable à la liberté d'expression et à la liberté de la presse. Elle représente un précédent particulièrement alarmant qui menace directement la liberté des journalistes en les mettant sous la pression de sanctions économiques disproportionnées", ont réagi ses avocats William Bourdon et Vincent Brengarth dans un communiqué. Ancien rédacteur en chef adjoint de "Spécial investigation" il avait quitté la chaîne en 2021 après la suppression du programme. Pendant cinq ans, il n'avait eu de cesse de s'opposer au contrôle éditorial de Vincent Bolloré au sein du groupe, dénonçant la "censure" du grand patron sur l'information et les enquêtes.
Élu délégué SNJ-CGT de Canal+ suite à une procédure de licenciement initiée contre lui finalement abandonnée, il avait également témoigné dans un portrait de "Complément d'enquête" consacré à l'homme d'affaires. Un portrait réalisé par Tristan Waleckx (alors pas encore animateur du programme de France 2) et Mathieu Rénier, et récompensé du Prix Albert Londres. "En 2016, Jean-Baptiste Rivoire était le seul journaliste du groupe Canal à prendre le risque de parler de Vincent Bolloré dans le portrait que Complément D'enquête lui consacrait. Pour avoir continué à témoigner malgré sa "clause de silence à vie", il vient d'être condamné à 151.500€ d'amende" a écrit Tristan Waleckx sur X.
Ce jeudi, le PDG du groupe Canal+ Maxime Saada était également auditionné à l'Assemblée nationale par la commission d'enquête parlementaire autour des fréquences de la TNT. Il a alors justifié cette condamnation, assurant que le journaliste a "touché plus de 400.000 euros" dans le cadre d'un vaste plan de départs volontaires lié aux difficultés économiques de la chaîne cryptée, auquel ont souscrit quelque 500 personnes. "Il a souhaité toucher une indemnité qui allait au-delà du plan de départ. Cette indemnité était liée à ce qu'on appelle du non-dénigrement. Quand vous dénigrez, ce qu'il a fait, immédiatement, on va au procès" a-t-il ajouté, précisant que "rien ne forçait Jean-Baptiste Rivoire" à signer la clause. Le patron de Canal "a cru pouvoir révéler le montant de la somme acceptée par M. Jean-Baptiste Rivoire dans un cadre transactionnel, en dépit de la confidentialité de ces informations", ont déclaré les avocats du journaliste, qui se disent "abasourdis", et se "réservent le droit d'agir en justice compte tenu de ces déclarations."