
Le malaise se propage à ICI, nouveau nom depuis le 6 janvier 2025 des antennes de France Bleu. Alors que direction et élus syndicaux se rencontraient ces mercredi 21 et jeudi 22 mai 2025 en CSE, l'écrasante majorité des salariés de 24 des 44 locales du réseau Radio France*, selon les éléments que Puremédias a pu recueillir, ont adressé à leur direction une lettre ouverte dans laquelle journalistes, animateurs, techniciens et agents d'accueil expriment leurs "doutes" et leur "défiance quant à la stratégie proposée par la direction du réseau pour (les) stations locales". Sibyle Veil, PDG de Radio France, Céline Pigalle, directrice d'ICI, Yann Chouquet, directeur adjoint de la station en charge des antennes et de la stratégie éditoriale, et Antoine Blin, directeur des programmes du réseau ICI, devraient recevoir dans les prochaines heures les doléances de quatre stations supplémentaires.
"Cette fois, la situation est trop grave pour faire comme si tout allait bien", donnent le ton d'entrée de jeu, par exemple, les salariés d'ICI Roussillon, fatigués d'appliquer, depuis des années et face à "des contraintes budgétaires toujours plus fortes", "des ordres et des contre-ordres venus d'en haut, le plus souvent sans concertation avec les équipes, sans que nos inquiétudes et nos doutes soient pris en compte ou entendus".
Ils rappellent ainsi qu'ils ont "porté à bout de bras les matinales filmées et un changement de nom imposé, tout en produisant davantage sur le numérique, avec des résultats exceptionnels au regard de la faiblesse des moyens". D'après eux, "la politique éditoriale de la direction d'ICI nous paraît dangereuse et incompréhensible, car elle s'attaque à l'essence même de nos antennes, alors que les premiers résultats d'audience de la stratégie initiée en septembre sont catastrophiques et ont été un choc pour les équipes", insistent-ils.
De manière générale, les salariés signataires ne reconnaissent plus leur station, "une radio en kit et sans âme, imaginée loin de nos territoires et s'appuyant sur des procédures infantilisantes et standardisées". "Nos programmes de l'après-midi sont devenus un robinet musical, vidé de tout contenu local et largement déshumanisé", regrettent-ils. "Les animateurs sont quasiment réduits au silence et incités à singer des radios privées en perte de vitesse, à lancer des éléments nationaux sans lien avec notre département. Les techniciens, de leur côté, doivent renoncer à toute créativité et abandonner l’antenne pour alimenter les réseaux sociaux avec des vidéos", déplorent-ils encore.
Et les décisions pour la rentrée, dont ont eu vent les salariés signataires à l'occasion de l'envoi de la "bible d'antenne" par la direction vendredi 16 mai, ne leur disent rien qui vaille. "La grille de septembre proposera encore davantage de musique et de micros préenregistrés", annoncent-ils.
"Comme si cela ne suffisait pas, nous devrions également abandonner des rendez-vous marqueurs de notre antenne depuis plus de 20 ans, comme les émissions rugby ou notre 'Baladeur' du vendredi, être moins présents encore sur le terrain, perdre toujours davantage de contenus locaux alors que nous avons déjà réduit la place accordée à l’info locale dans nos matinales depuis la refonte des journaux de 7h30 et 8h30. Cette verticalité des décisions poussée à l'extrême représente une perte d'autonomie totale des locales dans la construction de leurs programmes, ce qui génère une perte de sens et de la souffrance au travail pour tous les personnels d'antenne (...) D’artisans, nous deviendrions des ouvriers à la chaîne", concluent-ils.
Selon nos informations, Céline Pigalle a confirmé dans un mail interne avoir reçu une série de lettres ouvertes – celle d'ICI Roussillon étant la première d'entre elles – "exprimant des doutes et des inquiétudes sur la stratégie éditoriale envisagée pour la rentrée prochaine". "Nous y avons répondu immédiatement par un message de Philippe Le Blon Boitier, directeur des ressources humaines du réseau, dans l’espoir que notre appel au dialogue serait entendu par l’équipe d’ICI Roussillon et relayé à l’ensemble du réseau.
Malheureusement, il semble que, pour des raisons indépendantes de notre volonté, l’ensemble des signataires n’ait pas reçu directement cette réponse. Nous le regrettons sincèrement et avons bien pris en compte chacune des lettres que vous nous avez envoyées par la suite", écrit la directrice de la station aux salariés.
Sur le fond maintenant, Céline Pigalle explique qu'à l'occasion du CSE de ce jeudi, "nous avons précisé un certain nombre de points qui, à la lecture (des lettres), suscitaient des incompréhensions ou des inquiétudes". Par exemple, "la durée des journaux reste adaptable comme lors de la saison précédente, selon l’organisation de la station" et "la place du sport à l’antenne n'est pas remise en question", a-t-elle annoncé. "Les choix concernant le maintien, la réduction ou l’arrêt des émissions de fin de journée relèvent de décisions locales", a-t-elle également précisé avant de faire savoir qu'elle a "proposé aux élus du CSE une session de travail complémentaire le mardi 27 mai après-midi, pour poursuivre ces discussions sur les sujets qui vous mobilisent".
Dans une interview, accordée à Puremédias en novembre 2024, Céline Pigalle avait développé sa "vision" pour le réseau. "Ce que nous souhaitons, c'est soulager les rédactions d'une partie du travail de proximité avec des contenus, qui ne sont certes pas de l'information locale mais qui s'inscrivent dans notre offre globale (...) Cette possibilité est donnée aux rédactions afin qu'elles se concentrent sur l'économie locale, les événements locaux, l'actualité locale afin qu'elles disposent de plus de temps pour nourrir la promesse d'actualité locale", avait-elle développé.
"Je ne vais pas faire de pronostics sur les conflits sociaux qui pourraient advenir, ce n'est pas du tout mon état d'esprit", assurait-elle également. "Mon leitmotiv, c'est d'expliquer les choix que nous faisons, d'essayer de convaincre et d'accompagner au maximum les changements pour que les équipes de France Bleu aient envie de s’embarquer dans nos différents projets".
La liste des stations locales ayant adressé un courrier à la direction d'ICI : ICI Béarn Bigorre, ICI Azur, ICI Vaucluse, ICI Berry, ICI Belfort-Montbéliard, ICI Bourgogne, ICI Breizh Izel, ICI Gironde, ICI Pays Basque, ICI Pays d'Auvergne, ICI Picardie, ICI Drôme-Ardèche, ICI Normandie Caen, ICI Normandie Rouen, ICI Orléans, ICI Isère, ICI Gard Lozère, ICI Paris Île-de-France, ICI Roussillon, ICI Bourgogne, ICI Alsace, ICI Armorique, ICI Touraine, ICI Auxerre et ICI Pays de Savoie.
Mise à jour le vendredi 30 mai à 20h : "Le Monde" annonce que le nombre de stations signataires de lettres ouvertes grimpe à 35 sur 44. Selon le décompte des syndicats, ajoute le quotidien du soir, près de 700 des 1 400 salariés ont signé différents textes évoquant leurs interrogations sur la programmation à venir de la rentrée prochaine.