L'autre vague. Celle, rouge, de France 2. Qui a submergé l'info de TF1, tel un tsunami engloutissant les soirées politiques de la Une, les programmations des grands événements, le débat télévisé de l'entre-deux tours. Le vieux réflexe des téléspectateurs a changé, la prime au leader n'existe plus. Quand il s'agit de politique, de royauté ou de fêtes nationales, les Français zappent. Sur la chaîne publique, qui a réussi ces dix derniers mois à s'imposer comme la référence en la matière. Malgré un environnement hyper-concurrentiel, France 2 a aussi mieux résisté avec son 20 Heures. L'élection présidentielle passée et les mauvais scores digérés, la Une doit se réinventer pour ne pas se laisser davantage distancer. Car il est bien plus dur de reconquérir des téléspectateurs perdus que d'en séduire de nouveaux.
Premier symptôme, le 20 heures
Une autre campagne, une autre (belle) époque. Quelques semaines avant l'arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir en 2007, l'info et la politique de TF1 régnaient sans partage. "J'ai une question à vous poser" réunissait jusqu'à 11 millions de téléspectateurs, deux à trois fois plus que les meilleurs scores des spéciales de France 2. Fin 2007, le 20 Heures de la Une réunissait en moyenne 9,1 millions de téléspectateurs du lundi au vendredi. Cinq ans plus tard, son auditoire a fondu de 30%, à 6,4 millions ! Bien sûr, les nouvelles entrantes de la TNT et l'intensification de la concurrence à 20 heures ("Plus belle la vie", "Scènes de ménages"...) sont passées par là. Mais à 13 heures, le JT de Jean-Pierre Pernaut résiste, lui, perdant seulement 8% de ses téléspectateurs sur cinq ans.
Une réorganisation mal menée
Après la présidentielle de 2007, France 2 poursuit sa promesse politique, avec "A vous de juger" notamment. Un an plus tard, TF1 bouleverse l'état-major de son info, sous l'impulsion de son nouveau PDG Nonce Paolini. Robert Namias, patron charismatique de l'information sous l'ère Le Lay/Mougeotte est écarté pour Catherine Nayl, ancienne directrice des reportages. PPDA est éjecté à l'été 2008, Laurence Ferrari le remplace. "Les ennuis ne commencent pas avec son arrivée contrairement à ce qu'on a dit mais bien plus tard. TF1 va alors s'engager dans une spirale infernale", analyse un observateur du secteur.
Pendant que TF1 délaisse l'info politique et tente d'enrayer la baisse de son 20 Heures déjà amorcée sous PPDA, France 2 se positionne. Et entame une douce mais franche révolution de son info sous la direction de Thierry Thuillier. Cet ex de France Télé passé i-Télé prend à l'été 2010 la tête de l'information du service public et y impose de nouveaux codes. Nous sommes encore à deux ans de la présidentielle mais Thuillier pense déjà à 2012, construit de nouvelles équipes, invente de nouveaux formats. Créer l'événement, multiplier les points de directs, les experts, les interviews, travailler aussi bien le fond que la forme, faire de Pujadas le visage politique du service public : voilà sa recette. La mutation est lente car dangereuse dans une rédaction où la contestation a été parfois grande. Mais les résultats payent.
Premières secousses
Alors que le 20 Heures de France 2 a engrangé 100.000 téléspectateurs à la rentrée par rapport à 2010, celui de TF1 en a perdu... 800.000 ! Autrefois valeurs sûres de TF1, les opérations spéciales ont permis à la Deux de battre sa rivale : mariage de William & Kate, mariage d'Albert II, cérémonies du 14 juillet, du 11 novembre... A chaque fois, France 2 l'a emporté, parfois très largement malgré le remplacement de Charles Villeneuve et Jean-Claude Narcy par un nouveau visage, Gilles Bouleau.
Surtout, France 2 renouvelle son offre politique avec "Des paroles et des actes", décliné pour les primaires citoyennes du parti socialiste et lors de la présidentielle. A cinq reprises, ces choix audacieux ont permis à France 2 de dépasser la barre des 5 millions de téléspectateurs en prime time, une prouesse. Le point d'orgue a été la campagne officielle de la présidentielle : les quatre prime times spéciaux de TF1 (avec Le Pen, Sarkozy, Bayrou, Hollande et Mélenchon) ont à peine réuni en moyenne 3,8 millions de téléspectateurs, contre 4,6 millions pour les cinq de France 2. Surtout, les deux soirées électorales les 22 avrilet 6 mai ont permis à la chaîne publique de monter sur la première marche du podium, du jamais vu depuis les années 1990. "France 2 a réussi à inventer une nouvelle écriture journalistique pour son 20 Heures et ses soirées politiques, TF1 se complaît dans ses vieux formats. Les visages des journalistes à l'antenne sur France 2 ont largement été renouvelés alors que TF1 continue de mettre en avant ses 'vieilles' signatures", analyse un concurrent.
Laurence Ferrari responsable ?
Dans les couloirs de la Une, on désigne une responsable. Et pas forcément celle que l'on croit. Laurence Ferrari, malmenée depuis qu'elle s'est assise dans le fauteuil de PPDA n'est pas la plus menacée, Nonce Paolini lui a renouvelé son soutien après plusieurs rumeurs de débarquement. Catherine Nayl, la patronne de l'information, compte en revanche de moins en moins de soutiens en interne. "Elle va forcément sauter nous indique un journaliste de la rédaction. Sa seule chance de rester en place était de s'imposer avec les soirées électorales, c'est raté." Certains évoquent même un départ avant les législatives.
"On imagine mal l'info de TF1 rester en l'état sans tirer les enseignements du revers encaissé tout au long de la campagne présidentielle. On imagine mal également son propriétaire Martin Bouygues ne pas exiger quelques réaménagements de fond" note Renaud Revel de L'Express. Qui alors pour remplacer Catherine Nayl, "une bonne journaliste mais une mauvaise manageuse" ? Le nom d'Hervé Béroud, actuel directeur de la rédaction de BFM TV circule. Lui ou un autre n'ira pas sans garanties de moyens, financiers et humains. Car avant de renouveler les visages de l'antenne, tout le monde s'accorde à dire que TF1 doit s'attaquer à la manière dont elle fabrique l'information. Laurence Ferrari, qui a su montrer de quoi elle était capable sur Canal + souhaite y prendre part. Le changement, c'est maintenant ?
Julien Lalande et Julien Bellver.