Amandine Roussel (Okoo) : "Notre émission quotidienne a permis à France 4 de récupérer le leadership à Gulli dans notre tranche de prime time"

France 4 a débuté une nouvelle ère de son histoire chahutée. Menacée de fermeture en 2019 – avant que sa vocation éducative pendant la crise sanitaire ne lui sauve finalement la mise – la chaîne publique a succédé à Canal+ sur le canal 4 le vendredi 6 juin 2025. Sa ligne éditoriale, elle, n'a pas changé : si des programmes culturels désormais réunis comme les autres sous la bannière france.tv (et non plus Culturebox) sont la promesse de la chaîne en soirée, Okoo, la marque jeunesse de France Télévisions, alimente l'antenne l'essentiel de la journée, entre 6h et 21h15. Amandine Roussel, directrice déléguée à Okoo, revient auprès de Puremédias sur la stratégie à 360 menée par France Télévisions autour de cette marque destinée aux 4-10 ans, les différences avec la concurrence, Gulli et TF1 en tête, et les évolutions de grille à venir à la rentrée.

Propos recueillis par Ludovic Galtier Lloret 

Puremédias : Le 6 juin, France 4 a atterri sur le canal 4 de la TNT libéré par Canal+. Ce n'est pas le seul changement qu'a connu la chaîne qui avait la particularité d'abriter les marques Okoo en journée et Culturebox en soirée. Pourquoi l'une a été conservée et pas l'autre ?
Amandine Roussel : C'est vrai que nous aurions pu nous dire 'remplaçons toutes nos marques par france.tv'. Ce choix n'a pas été fait pour Okoo (et Franceinfo, ndlr) parce que nous avions investi sur elle depuis 5 ans – Okoo a succédé en 2019 à Ludo et Zouzous – afin qu'elle devienne une marque puissante dans les univers de l'enfance et de la jeunesse. En conservant Okoo, nous avons souhaité sanctuariser une marque repère pour les familles. Pour les parents, c'est important de savoir qu'ils ne prennent aucun risque en laissant leurs enfants regarder notre offre. Nous ne souhaitions pas revenir en arrière. 

En 2021, la dernière année où elle était mesurée, France 4 affichait une part d'audience de 0,8% sur l'ensemble du public. À quel niveau pourrait-on la retrouver les mois prochains ?
0,9% ou 1%. Mais sur une chaîne jeunesse comme la nôtre, raisonner en part d'audience sur les 4 ans et plus n'a pas de sens. Les 4-10 ans est une tranche d'âge qui pèse peu dans l'ensemble de la population donc quand nous atteignons 15,4% de part d'audience sur les 4-10 ans entre 7h et 20h (un record mensuel historique en mai 2025, ndlr) et 17,6% en 2024/2025 sur la même cible durant notre prime time (entre 16h30 et 18h30, ndlr), ramener cette donnée en 4+ est moins impressionnant. 

Être leader devant Gulli sur les 4-10 ans est l'objectif ?
Okoo a déjà réussi à reprendre le leadership. Gulli communique toujours sur l'ensemble de la journée, où elle est effectivement en tête (16,1% des 4-10 ans en mai 2025, ndlr). Mais si nous nous concentrons sur les carrefours stratégiques – le matin, la sortie d'école et le week-end – Okoo est leader à chaque fois avec une offre plus variée. 

Gulli est-il votre adversaire naturel dans le PAF ?
Sur le linéaire, oui. Sur le non-linéaire, notre principal concurrent n'est pas Gulli mais YouTube, où l'audience est très diluée. Nous n'avions qu'une chaîne, nous en avons maintenant deux, une pour les petits, une pour les plus grands. L'idée n'est pas du tout d'envoyer les enfants sur YouTube mais de faire connaître nos séries. Les producteurs nous le demandent. Cela participe à la notoriété de chaque série que nous diffusons avec parcimonie pour attirer les enfants sur l'application Okoo, notre plateforme sécurisée qui propose contrairement à YouTube une expérience de navigation différente à chaque enfant en fonction de son âge.

TFou, la case jeunesse de TF1, a revendiqué un record historique de part d'audience le week-end des 31 mai et 1er juin, se targuant d'avoir rassemblé 50% des 4-10 ans présents devant la télévision...
À 8h58, sur une minute ? Ce sont des chiffres de régie pub. Nous pouvons toujours compter sur eux pour trouver le bon chiffre qui va claquer. Je pourrais vous dire moi aussi que 72% des 4-10 regardent Okoo à un moment T. Mais nous préférons communiquer sur des plages horaires stratégiques parce que nous savons que l'audience est solide et que les chiffres veulent dire quelque chose. Un ensemble journée lissé sur un mois ça va, mais sur une journée, cela ne veut rien dire du tout. Parler de 4+ sur un public enfant ne veut rien dire non plus. TF1 a une régie pub qui vend aux annonceurs, ils sont dans leur rôle.

Souffrez-vous face à la concurrence de TFou le week-end?
Ils ont des marques encore fortes. Ce que je lis de la stratégie de TF1, c'est qu'ils sont moins offensifs sur la jeunesse. Bien sûr, ils respectent leur quota d'investissement mais ils ont réduit l'exposition des programmes jeunesse en les basculant en semaine sur TFX. Et sur le numérique, nous ne percevons pas de leur part une stratégie offensive. Nous avons comme l'impression que ce n'est pas leur public de prédilection en ce moment. C'était plus le cas il y a cinq ans. Ils nous ont complètement laissé le champ libre cette saison. 

La bascule des programmes jeunesse de TF1 à TFX en janvier 2024 vous a donc facilité la vie ?
Nous l'avons clairement vu cette saison, en battant des records sur France 5 et France 4. C'était moins le cas pour Gulli. Chez France Télévisions, les enfants ne sont pas un public secondaire. Okoo va d'ailleurs prendre dans les prochains mois une place plus importante encore sur les télés connectés. Quand vous ouvrirez france.tv, vous aurez une double entrée, une pour les profils adultes, une autre dédiée à Okoo. C'est déjà le cas pour les abonnés Free et l'idée est de généraliser l'expérience à tous les opérateurs.

France 4 a vécu plusieurs mois avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête avant finalement d'être pérennisée en 2020, en période de crise sanitaire. Pourquoi la chaîne a-t-elle aussi longtemps cherché sa ligne éditoriale ?
La crise du covid-19 a permis de montrer que France 4 avait une utilité publique. La chaîne était devenue très éducative avec les cours à la maison en journée. Elle se partageait entre les contenus de Lumni (offre éducative de France Télévisions) et Okoo et les familles et les enfants nous disaient qu'ils ne comprenaient pas qui faisait quoi lors de tests que nous avions soumis à un panel. Pour clarifier notre offre, nous avons fait le choix de ne pas mélanger les marques. Aujourd'hui, Okoo fait dans certains programmes ("C'est toujours pas sorcier", "Petite Casbah"...) des renvois vers les contenus Lumni mais les deux marques ne cohabitent plus en linéaire. Brique par brique, nous avons reconstruit cette grille avec comme ambition de proposer des marques d'animation françaises qui soient des vrais rendez-vous, des repères générationnels comme nous, nous avons pu en avoir quand nous étions enfant. 

Lesquels ?
Il y a nos incontournables comme "Les as de la jungle" du studio TAT à Toulouse, "Grizzy & les Lemmings" du studio Hari, à l'origine également de "Mystery Lane", l'un de nos gros succès des 18 mois qui viennent de s'écouler. Je peux encore citer "Oscar et Malika" mais aussi "Potobot", une production Xilam que nous avons lancée en 2024. Et tout ce que je vous cite là, et j'en oublie, ce sont des créations françaises de grande qualité. Voilà pour la première phase de reconstruction de notre grille. Dans un deuxième temps, nous avons souhaité réincarner la chaîne. 

Vous avez effectivement lancé "Okoo-koo" animé par une bande d'animateurs. Lancée à un rythme hebdomadaire le mercredi en 2022, elle est depuis la rentrée 2023 proposé en quotidienne à 17h50. Pourquoi ce format est-il structurant dans votre grille ?
Très personnellement, je garde de mon enfance "Le club Dorothée". C'est une référence pour ma génération. Quand j'allumais ma télé, il y avait quelque chose de très joyeux qui se dégageait de Dorothée, qui avec sa bande incarnée invitait sur un plateau des gens pour chanter, pour danser. Cet accompagnement, cet accueil des enfants à la télé doivent être les missions de France 4. Tout ce que ne font pas les plateformes à la demande. Nous avons donc d'abord lancé ce rendez-vous le mercredi pour tester. Nous n'étions pas certains que les enfants soient au rendez-vous, cela n'existait plus. Mais l'émission a tout de suite fonctionné, les enfants étaient en attente de ce rendez-vous que nous avons déployé en quotidienne en sortie d'école. L'émission, qui réalise une saison record, nous a permis de récupérer le leadership sur la case 16h30-18h30 (17,6% pour France 4 en saison 2024/2025 contre 15,7% pour Gulli, ndlr), l'équivalent de notre prime time. 

Comment avez-vous recruté les animateurs Manon, Jason, Karim et Julia ?
La société de production Morgane a décroché l'appel à projets que nous avions lancé. Nous souhaitions des animateurs qui savent jouer la comédie, chanter, danser, être pédagogues lors d'un atelier "Do it yourself" ou plus sérieux quand il s'agit de prendre la parole sur des sujets plus engageants comme le harcèlement. Il devait aussi y avoir une alchimie entre eux, parce que c'est ce que les enfants cherchent. Ils aiment retrouver une bande de copains. Les animateurs ont été retenus après un casting de comédiens et de comédiennes.

La référence au "Club Dorothée" n'est-elle pas trop ambitieuse ?
Bien sûr, c'est une autre époque. Ils étaient à l'antenne pendant 4 heures le mercredi après-midi mais aussi le dimanche matin. Cela devait coûter des montants astronomiques mais à l'échelle de notre époque, avec la fragmentation des usages, l'arrivée des plateformes américaines qui ont bouleversé le paysage, nous n'avons pas à rougir. Grâce à notre stratégie 360, nous proposons, en plus de France 4 et France 5 dans certaines cases, le plus gros catalogue à la demande gratuit avec 9.000 titres à disposition des enfants sans pub.

Qu'est-ce qui différencie l'offre d'Okoo diffusée sur France 4 de celle proposée sur France 5 ?
Elles n'ont pas les mêmes fonctions. Le catalogue d'Okoo sur France 5 est destiné aux 3-5 ans. Avec des titres comme "Peppa Pig", "Simon","Tchoupy", il se veut être un cocon très rassurant qui ne traite que du quotidien à leur hauteur. Le matin, entre 6h30 et 9h, France 4 et France 5 fédèrent, à elles deux, 38,7% de la cible des 4-10 ans. Quand Gulli est à 21,4%.

Quid de France 3 ?
France 3 est la chaîne historique de la jeunesse et propose surtout de grands classiques tels que "Les Dalton" et "Les Looney Tunes". Nous diffusons Okoo là où les matinales ICI ne sont pas encore diffusées, soit 15% à 20% du territoire. Mais, en septembre 2025, ICI doit s'installer partout et Okoo ne sera plus diffusée sur France 3 le matin en semaine. En revanche, nous conserverons une diffusion le week-end et pendant les vacances. 

Théo Curin, incarnation de France 4, poursuivra-t-il l'animation de "T'es au top" la saison prochaine à 20h35 ?
Oui. Nous souhaitions donner la parole aux enfants avec cette émission. L'horaire pourrait évoluer mais sur cette chaîne, tous les jours, nous continuerons à parler des problèmes du quotidien des enfants.

Le soir, vous avez annoncé travailler "une meilleure complémentarité avec l'offre de soirée". Qu'est-ce que cela signifie ?
Nous travaillons pour la rentrée à une promesse plus familiale. Bien sûr, celle-ci se construit dans un cahier des charges contraint c'est-à-dire que France 4 est la chaîne de la jeunesse, de la culture, du spectacle vivant et du cinéma art et essai. Nous avons donc crée deux rendez-vous en access le week-end avec une rediffusion de "Fort Boyard" chaque vendredi à 19h et l'introduction d'une case cinéma en famille le samedi à la même heure. Le dimanche, nous ouvrons une case spectacle en famille qui contiendra du cirque, des spectacles et des concerts d'artistes appréciés des enfants et des familles  (Louane, Bigflo et Oli, Soprano...).

Qu'en sera-t-il de l'access de la semaine ?
Un access est en cours de construction mais nous cherchons pour la rentrée à créer une passerelle entre les programmes d'access que nous souhaitons plus familiaux et ceux diffusés en prime time. Nous ne voulons plus de rupture brutale entre les deux temps de notre grille comme c'était le cas entre Okoo et Culturebox.

Sur ce plan, Gulli ne vous a-t-elle pas devancé avec sa case Gulli Prime ?
Il me semble que Gulli veut profiter de la bascule sur le canal 12 pour augmenter son audience sur les 25-49 ans en prime, ce qui n'est pas du tout notre objectif. Eux miseront sur beaucoup d'acquisitions, du cinéma US. Ce que nous ferons jamais. Ils adoptent donc une stratégie totalement différente pour des questions de régie que nous ne nous posons pas. Nous ne réfléchissons pas du tout avec le même logiciel.