Mercredi soir, à 22h15, "Cash Investigation" est de retour avec un numéro édifiant sur le business du football et sur le rôle des agents de joueur. Une fois de plus, Elise Lucet a dû aller sur le terrain pour rencontrer par surprise des dirigeants qui ne souhaitaient pas répondre aux questions de son équipe. Invitée exceptionnelle sur puremedias.com, la présentatrice du 13 Heures raconte cette nouvelle saison de "Cash" et revient sur le succès de ce magazine d'investigation dans la première partie de cette interview.
Propos recueillis par Benoît Daragon et Benjamin Meffre.
puremedias.com : Mercredi, "Cash" revient avec un numéro sur le monde du football. Vous semblez avoir eu beaucoup de difficultés pour pouvoir faire votre enquête ?
Elise Lucet : Oui c'est un milieu difficile. Le monde du sport est assez hermétique. Les journalistes sportifs sont embedded avec les équipes. Leur sens critique devient plus compliqué. Donc quand nous sommes arrivés en disant qu'on allait parler de l'argent du foot, toutes les portes se sont fermées. Les gens du foot n'ont pas envie qu'on réduise leur sport à l'argent qui est pourtant omniprésent. On n'a pas lâché l'affaire et on a quand même fait cette enquête !
Le foot est donc plus dur à pénétrer que le milieu de la finance ?
Dans les affaires, les entreprises veulent simplement garder la confidentialité de leurs activités. Dans le foot, il y a un fort esprit d'équipe ! Très vite, ils se sont donné le mot qu'un "Cash" se préparait sur le foot. Ils nous ont tous fait savoir qu'ils n'avaient absolument pas envie de nous répondre. Mais nous, on avait absolument envie qu'ils nous répondent ! Pour parler à Michel Platini, on a dû se rendre à une conférence de presse...
Certains ont fait l'effort de vous répondre pourtant !
Oui, mais ils se retrouvent dans des situations vraiment gênantes... Quand Noël Le Graët, le patron de la FFF, nous dit que parfois il n'applique pas le règlement de la FFF parce que certains agents sont "sympas", c'est alarmant !
"Les joueurs de foot étaient devenus des produits financiers"
Qu'avez vous découvert de plus frappant ?
On s'est rendu compte que les joueurs de foot étaient devenus des produits financiers sur lesquels des grands groupes misent pour faire un retour sur investissements lors des transferts. Dès l'âge de 11 ans, les espoirs du foot font déjà l'objet de tractations de la part des agents, des clubs et d'investisseurs. Il y a une déshumanisation totale du joueur de foot. On a appris à Eliaquim Mangala, un joueur de Porto, que 10% de lui-même appartenait à une société obscure. Je ne pense pas que le public ait conscience de ça. Et le monde du foot n'a pas du tout envie qu'il soit au courant.
Ce numéro marque le lancement de la saison 2 de "Cash". Combien y aura-t-il de numéros ? Y aura-t-il d'autres prime-time ?
Il y a 4 numéros prévus pour l'instant et pas de prime-time. On est encore en discussion pour la suite. Un numéro nécessite de longs mois de préparation. Mais il suffit qu'on trouve un document ou qu'on décroche une interview pour que tout se débloque. Après cela, on peut réaliser une émission en quelques semaines. Le prime sur l'évasion fiscale a été mis en image en 7 semaines.
"Ce changement de ton était attendu des téléspectateurs"
Ce prime du mois de juin a changé quelque chose ?
Oui ! A la création du magazine, il y avait des réticences sur notre format, y compris au sein de France Télévisions. Le fait que le prime soit suivi par 3,6 millions et 15% du public a changé la donne. Les milliers de commentaires sur Twitter et l'important courrier a fait comprendre à certaines personnes ici que ce changement de ton était attendu des téléspectateurs.
Outre le fond, le point fort de "Cash" c'est aussi les séquences où on vous voit en scène !
Personne dans "Cash" ne se met en scène. On ne fait pas de cinéma, mais du journalisme. On va chercher les gens là où ils sont, et c'est souvent dans des endroits où on n'a pas le droit d'être, et où ils n'ont pas du tout envie qu'on soit. Que ce soit moi, ou les reporters qui font les sujets, nous nous impliquons dans le sens où on va chercher les informations jusqu'au bout.
Prenez-vous du plaisir dans ces séquences ?
Beaucoup ! C'est souvent l'aboutissement de longues semaines de travail donc on ne lâche pas l'affaire. Parfois, c'est vraiment tendu, comme une séquence à Clairefontaine, mais c'est toujours grisant. Quand on arrive hyper préparés, avec des documents qu'on n'est pas censés avoir, le match commence. Et bien sûr qu'il y a de la satisfaction à mettre quelqu'un face à ses contradictions. On a la sensation du travail bien fait. Et on est ravi de casser les codes.
"L'émission est à notre image : sérieuse et punk"
Vous n'avez pas peur qu'une fois "Cash" installé, on vous voit arriver à des kilomètres avec vos interventions ?
Si du jour au lendemain tous les patrons acceptent de nous parler, tant mieux ! Mais ce qu'il risque de se passer, c'est que des patrons nous proposent une interview après nous avoir éconduits, parfois sans ménagement. Car maintenant, ils savent qu'on a un grand niveau de connaissance sur leurs entreprises et qu'on fera le sujet avec ou sans eux. Et à "Cash", nous sommes toujours d'accord pour leur donner la parole !
Vous pensez que vous pouvez faire changer les choses ?
Nous ne sommes pas les chevaliers blancs de l'info. Notre but à nous, c'est d'informer les téléspectateurs d'une situation. Si, après, des responsables du foot ou des politiques s'emparent du dossier et veulent faire changer les choses, bien sûr qu'on est contents !
"Cash" c'est aussi beaucoup de légèreté avec une mise en image très amusante !
Oui je voulais que l'émission soit à notre image : sérieuse et punk ! On peut parler de foot, de finance ou du trading à haute fréquence sans être intelli-chiant ! Nous aussi on a besoin de se marrer en faisant nos sujets ! Et on adore illustrer par l'humour des situations absurdes !
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