Le plus Allemand des commentateurs français ! Dans quelques jours, la Coupe du monde de football donnera son coup d'envoi au Qatar. A cette occasion, puremedias.com propose tout au long de la semaine une série d'entretiens, baptisée "La sélection de Puremédias". Plusieurs anciens joueurs de football ont accepté de se plier à l'exercice de l'interview afin d'évoquer le rendez-vous sportif, mais également donner leur vision du métier de consultant sportif.
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Le natif de Villigen, en Allemagne, à l'époque RFA, a débuté sa carrière de défenseur en Allemagne, à Freiburger, puis à Bochum dans les années 1990. Celui qui détient la binationalité franco-allemande a rejoint en 1993 le championnat français où il a évolué au sein du Stade Rennais, Châteauroux, le Red Star et entre autres Saint-Etienne. Après une expérience en tant qu'entraîneur adjoint des Girondins de Bordeaux, Patrick Guillou a intégré l'écurie des consultants de beIN SPORTS et sera présent au Qatar durant toute la compétition. Il a accepté de se confier auprès de puremedias.com.
Propos recueillis par Florian Guadalupe.
Partie Coupe du monde
puremedias.com : Quel est votre meilleur souvenir d'une Coupe du monde de football devant la télévision ?
Patrick Guillou : Ce sont les premiers matchs que j'ai vus à la télévision lors de la Coupe du monde de 1978 en Argentine. J'étais gamin. Je vivais en Allemagne avec ma famille. Mon père et ma mère avaient invité des amis de la garnison militaire. Ils étaient une quinzaine à regarder et à vivre avec passion les matchs de l'équipe de France. Il y a le premier but de Bernard Lacombe face à l'Italie. Le match est perdu 2 à 1. Ce sont mes premiers souvenirs, avec le match face à l'Argentine et la main de Marius Trésor. Puis, il y a eu ce match où l'équipe de France n'avait pas joué avec son maillot officiel, mais avec un maillot prêté par un club argentin, avec des rayures. Je me rappelle les copains de mes parents pleurer au balcon parce que la France avait perdu face à l'Italie. C'était des moments où je me suis dit que ça représentait autre chose que le football. Le football, c'est ce qui permet de cristalliser des passions et des émotions, positives ou négatives. Et ce n'est pas parce que l'équipe de France a été éliminée que c'est un mauvais souvenir. C'est mon meilleur souvenir car c'est celui qui est le plus innocent. J'avais vécu une certaine émotion par procuration en voyant ce qu'il se passait autour de moi.
Quel est votre pire souvenir ?
C'est le France - Allemagne de la Coupe du monde de 1982. Pour contextualiser, je suis né en Allemagne. J'ai grandi en Allemagne. J'ai vécu en Allemagne. J'ai une grande famille en Allemagne. A l'époque, j'étais en Côte d'Ivoire et je revenais en Allemagne le jour de cette fameuse demi-finale. On menait 3 à 1 et on s'était fait éliminer aux pénaltys. Je vois les gens pleurer de déception pour un match de foot. C'est le pire parce que j'ai vu le pire geste sur un terrain de football. La sortie de Harald Schumacher sur Patrick Battiston, avec tout ce que ça comporter derrière. Depuis ce jour-là, alors que je suis un binational, quand il y a un France - Allemagne, je suis pour la France. J'ai trouvé ça tellement injuste et tellement violent. C'est peut-être typiquement français, mais je retiens beaucoup plus les défaites que les victoires. Par ces défaites-là, j'ai pu me forger ma culture de football.
Quelle sera la nation surprise de cette Coupe du monde ?
Il ne faut pas que ce soit mal compris et je vais être cohérent avec ce que je vais dire. Je pense que la nation surprise peut être l'Allemagne. On peut dire : "Ils sont toujours favoris, ils ont gagné plusieurs Coupes du monde". Mais par rapport à l'élimination au premier tour en 2018 et aux résultats affichés lors des dernières sorties, il n'y a pas de garanties dans cette équipe. Si elle sort de son groupe et en tête devant l'Espagne, elle peut être une bonne surprise et aller plus loin dans la compétition. Aujourd'hui, je n'ai pas de garanties, même face au Japon et au Costa Rica.
Quel joueur va faire rêver les téléspectateurs durant la compétition ?
Moi, j'attends de voir avec impatience si Jamal Musiala sera titulaire. On le connaît du côté du Bayern et en Ligue des Champions. C'est un jeune gamin qui a la double nationalité. Il a accepté d'être Allemand. A à peine 19 ans, il a déjà une vingtaine de sélections. Il est en ce moment dans une forme assez intéressante. S'il arrive à garder cette insouciance, ça peut être une belle surprise pour les téléspectateurs. Il faut qu'il garde cet aspect de gamin dans une cour d'école. Il peut crever les écrans et la planète football peut découvrir le joueur dont on soupçonne tous un talent infini.
Pensez-vous que l'équipe de France peut à nouveau gagner la Coupe du monde ?
Pour être cohérent, il y a beaucoup moins de garanties et de certitudes par rapport à il y a quatre ans. Aujourd'hui, devenir champion du monde est un exploit, pas une évidence. Donc, moi, je classe l'équipe de France parmi les outsiders, et pas parmi les favoris. Aujourd'hui, les planètes sont moins bien alignées pour que la France soit championne du monde.
Partie médias
En tant que consultant, comment préparez-vous cette Coupe du monde ?
On a la chance d'être sur site. J'ai vécu déjà quelques Coupes du monde, mais j'étais en plateau depuis Paris. Je vais vivre ma première Coupe du monde sur site. Ca va être la réalisation d'un rêve de gamin. Quand on est gamin et qu'on aime le foot, on veut être présent à une Coupe du monde. Et là, je vais le faire et je vais vivre l'événement par procuration en commentant sur beIN Sports. En fonction des matchs que je vais commenter, je ferai un travail en amont de préparation, avec des lectures. Moi, ce qui m'intéresse aussi, ce sont les petites histoires qui peuvent se raconter autour de la Coupe du monde, sur les joueurs et leur façon d'arriver au plus haut niveau. Ensuite, j'aime comprendre les différences culturelles et interculturelles. Une Coupe du monde, c'est aussi un rendez-vous où les peuples se réunissent. Je ne suis pas aveugle et je connais aussi l'environnement qui entourera cette Coupe du monde. J'ai envie de me faire ma propre opinion. Je respecte le choix de tout le monde d'avoir un avis sur cette Coupe du monde. Je souhaite qu'on respecte aussi le fait que je vais vivre ma première Coupe du monde sur place. Moi, je suis un ancien joueur et un consultant. Je ne suis pas un élu. Surtout, je ne suis pas responsable de l'attribution qui a été faite de la Coupe du monde il y a dix ans.
Avec toutes ces problématiques autour du Qatar, est-ce plus difficile de se préparer à cet événement ?
Sincèrement non. Il ne faut pas être sourd et aveugle. Il y a un environnement qui est ce qu'il est. Dans plusieurs pays, il y a des mouvements de contestation. Je l'entends. Je le comprends. Mais j'aimerais aussi qu'on puisse vivre un événement. La question se pose aux consultants, mais également aux joueurs. Comme en 1978, les matchs avaient eu lieu dans une dictature (l'Argentine était dirigé par le dictateur Jorge Rafael Videla, ndlr). Très peu s'étaient levés contre la Coupe du monde cette année-là. Pareil en Russie en 2018. Comparaison n'est pas raison. On ne peut pas comparer tous ces tournois comme ça. Mais aujourd'hui, il y a aussi cette volonté de faire une Coupe du monde dans des conditions qui sont différentes. C'est la première fois qu'elle aura lieu en novembre et en pleine saison. J'entends toutes ces problématiques. Je rappelle quand même que la prochaine Coupe du monde aura lieu aux Etats-Unis, au Canada et au Mexique. Ce n'est pas sûr que l'empreinte carbone soit inférieure à ce qui va se faire en déplacement au Qatar. Ca ne veut pas dire qu'il faut tirer sur la prochaine Coupe du monde. Je dis juste qu'à un moment donné, il faut tout remettre dans son contexte. Je ne suis que consultant ! Je ne suis pas dans les institutions de la FIFA. Je ne suis pas un homme politique. Il y a un cadre autour de moi qui me dépasse !
Être consultant, est-ce que ça n'apporte pas plus de liberté qu'un journaliste pour commenter le football ?
J'ai la chance de pouvoir commenter et de dire ce que je vois. Je ne suis pas là pour faire du lobbying. La crédibilité d'un consultant par rapport à un journaliste, c'est que le journaliste relate des faits et des émotions et le consultant interprète des systèmes tactiques et le comportement des joueurs sur un terrain. Je suis partisan que si c'est pour ouvrir un robinet d'eau tiède, ce n'est pas intéressant. Les téléspectateurs, on ne les éduque pas. Ils ont aussi leurs émotions. Ils connaissent pour la plupart le foot. Ceux qui viennent sur cette Coupe du monde, ce sont aussi des gens qui sont des experts. On doit donc être cohérent avec ce qu'on dit. Après, c'est sûr que ça provoque ensuite des coups de fil d'agents, de joueurs et de parents. Mais moi, je dis simplement ce que je vois quand j'analyse les matchs et les joueurs, avec mon ressenti. Je ne me suis pas octroyé une liberté. C'est simplement ma façon de commenter et ma façon d'être.
Avez-vous reçu beaucoup de coups de fil après vos interventions à la télévision ?
Ca fait partie de mon métier. Quand je suis au stade ou que je revois certains joueurs, il peut y avoir certains échanges. Il y en a certains qui te ressortent un commentaire que tu as dit trois mois auparavant... Toi, tu l'as déjà oublié parce que tu commentes trois ou quatre matchs par semaine. Mais eux, ils ne l'ont pas oublié. Même si c'est acté et que je suis passé à autre chose, il y a quand même eu l'exemple avec Franck Ribéry. Apparemment, mes commentaires ne le satisfaisaient pas. Lui, il ne pouvait pas les entendre parce qu'il était en train de jouer. Forcément, il y avait quelqu'un qui lui avait rapporté. Quand on est consultant, il faut savoir faire abstraction de tout ça. On doit simplement faire consciencieusement son métier, à partir du moment où on a la confiance de ses employeurs et de ses téléspectateurs. C'est aussi un milieu où on commente les commentaires. Il faut savoir les retenir et les écouter. On ne doit pas en faire abstraction, mais surtout savoir avancer.
On parle souvent du style latin des commentaires. Vous qui avez une attache en Allemagne, qu'en est-il du ton outre-Rhin ?
En Allemagne, les matchs sont commentés par un journaliste seul. Il n'y a pas de consultants. Le consultant ou l'expert vient en avant-match, à la mi-temps et à l'après-match. Il y en a très peu qui font comme nous. Ensuite, les consultants en Angleterre et en Allemagne sont dans la même logique que moi. Ou alors moi, plutôt, je me suis inspiré d'eux à force de les écouter quand j'étais gamin. J'écoutais principalement des consultants allemands. Ils ne sont pas là pour faire plaisir au club ou aux joueurs. Ils sont là pour dire ce qu'on voit et ils ont la légitimité pour dire ce qu'ils pensent ! C'est direct ! Il y a peut-être moins d'intérêts en jeu.
Lorsque vous étiez joueur, pensiez-vous devenir un jour consultant ?
Non. Pas du tout. Après ma carrière, j'ai fait des études. J'ai un bac+5. J'ai fait un petit bout de chemin de vie professionnelle dans les assurances. Le métier de consultant, c'est arrivé grâce à Jean-Guy Wallemme et Michel Denisot. Mon dernier club en pro, j'étais à Rouen, dans l'équipe de Jean-Guy. Il s'était fait écarter et a ensuite été consultant à Canal+ pour parler du football en Allemagne. Quand Jean-Guy a quitté la chaîne, il a soufflé mon nom à Michel Denisot qui m'a recruté. Le premier match que j'ai commenté, c'était un Bayern-Dortmund. Année après année, je me suis bonifié en lisant énormément. Je pense aussi que le fait d'avoir été entraîneur adjoint à Bordeaux et à Wolfsburg, m'a apporté de la crédibilité et un regard différent sur l'analyse tactique des matchs. Aujourd'hui, je me régale à commenter des matchs ! Je reste un passionné du foot et du beau jeu.
Et vous voyez commenter toute votre vie ?
C'est difficile de dire ça. Je ne sais pas les opportunités que je pourrais avoir à droite ou à gauche, pour pouvoir faire autre chose. Avec tout ce que j'ai traversé ces dernières années, je me concentre sur le bonheur que je peux avoir chaque jour. Je ne suis pas dans une logique de carrière. Je n'ai pas envie de faire un croche-pied pour prendre la place de quelqu'un. J'ai quand même eu une mère qui m'a apporté beaucoup de valeurs. Si les choses doivent arriver, elles arriveront. Elles se font toujours naturellement. Je sais très bien que je suis un privilégié. Il y a beaucoup d'anciens joueurs qui rêvent d'être consultants et beaucoup de personnes rêvent d'être à notre place. Ce n'est pas démago, même si je m'en fous de ce que les gens pensent de moi. Je savoure chaque jour la chance que j'ai.