Après Coco avant Chanel d’Anne Fontaine, place désormais au Coco Chanel & Igor Stravinsky de Jan Kounen. Si les deux films dressent le portrait du même personnage, la grande couturière reste bien le seul point commun de ces deux biopics. La femme a eu mille histoires dans une seule vie. Et c’est sa relation trouble et troublante avec le génie Igor Stravinsky que Jan Kounen a choisi d’aborder dans son film. Une histoire passionnée, que le réalisateur de 99 Francs a mise en scène avec un classicisme qui déroutera certainement ses admirateurs.
En 1913, à Paris, Coco Chanel est toute dévouée à son travail et vit une grande histoire d’amour avec le fortuné Boy Capel. Igor Stravinsky présente, lui, son « Sacre du Printemps » au théâtre des Champs-Elysées. Jugée anticonformiste, l’œuvre est conspuée par une salle au bord de l’émeute. Coco est subjuguée. Sept ans plus tard, dévastée par la mort de Boy, elle propose au musicien de l’héberger dans sa villa à Garches pour qu’il puisse y travailler. Celui-ci s’y installe avec ses enfants et sa femme. Une liaison passionnée va alors naître entre les deux créateurs…
La patte de Jan Kounen s’efface derrière une mise en scène impersonnelle
Si la romance entre Coco Chanel et Igor Stravinsky est bien réelle, on sait peu de choses sur la construction de leur liaison, les deux intéressés n’ayant bien sûr laissé que peu de traces de leur liaison fugace. Jan Kounen parvient toutefois à faire vivre leur romance à travers les quelques éléments historiques dont il dispose. Le reste, il le puise avec élégance dans son imaginaire. Et il nous dépeint au final sa passion rêvée de ces deux amants que le destin a réunis à un point clef de leur carrière.
Mais quand une œuvre est signée Jan Kounen, force est de s’attendre à voir un film dérangeant, brillant, audacieux, et à cent lieues des poncifs éculés et d’un style édulcoré. Pourtant, on se surprend à ne pas reconnaître la patte du cinéaste français qui, sans doute intimidé par le poids des personnages qu’il décrit, s’est effacé derrière une mise en scène impersonnelle, quasiment usurpatrice. Comme par peur d’être fustigé d’un « m'as-tu vu » prétentieux. Alors que non. Quand on peut filmer avec délire et espièglerie les fantasmes d’un Frédéric Beigbeder ou de Mike Blueberry, on ne doit pas trahir son talent au mépris de celui des autres.
Anna Mouglalis et Mads Mikkelsen, un tandem d’une vérité saisissante
Si on peut reprocher à Jan Kounen d’avoir été écrasé par son sujet, ses deux acteurs ont réussi, eux, à se glisser avec brio dans la peau de leurs personnages, se servant de leur charisme pour y insuffler une vérité saisissante. Anna Mouglalis est Coco Chanel. Mads Mikkelsen est Igor Stravinsky. Pas l’ombre d’une seconde, on ne doute de la véracité de leur histoire. Ils n’interprètent pas la liaison de Coco et Igor, ils la vivent. Les regards et les non-dits sont échangés avec une simplicité qui suffit à exposer la psychologie complexe de leurs personnages.
Bénéficiant des décors et d’une reconstitution fidèle, Coco Chanel & Igor Stravinsky vaut aussi par sa musique qui, Stravinsky oblige, pioche beaucoup dans les œuvres du compositeur russe. Outre la scène d’ouverture qui permet au « Sacre du Printemps » de nous plonger dans la virtuosité de ses compositions, le film offre aussi une vitrine de choix à Gabriel Yared, qui relève avec beaucoup de mérite le défi de faire exister sa musique originale avec les pièces du compositeur russe. Et la musique est peut-être le plus beau langage de ce film peu bavard. Dans ce biopic amoureux, tout passe par la musique, la colère, les amours, la séparation, le rejet. Dommage alors que tout ne s’accorde pas dans cette œuvre juste, sincère mais imparfaite.