Encore en réflexion. Pour la dernière partie de cette série d'entretiens, après avoir évoqué le succès de son nouveau talk, "Quelle époque", sur France 2 et ses projets en prime time sur le seconde chaîne, Léa Salamé se confie au sujet de la matinale radio de France Inter, à laquelle elle participe depuis bientôt 10 ans. L'occasion également de revenir sur de récentes interviews fortes et parler de son avenir sur les ondes.
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Propos recueillis par Florian Guadalupe.
Parlons un peu radio. Votre matinale avec Nicolas Demorand sur France Inter se porte bien. Comment tient-on le cap à une période où le média radio est globalement en baisse ?
C'est incompréhensible. Je n'ai pas d'explications. Je ne sais pas comment Radio France et notamment France Inter résistent comme ça. Je pensais que ça allait baisser après la présidentielle. Ce n'est pas le cas. Le média radio baisse, comme la télévision d'ailleurs. Mais il est écouté différemment. Les replays sont écoutés et les podcasts explosent. Il y a une vraie révolution. On est dans la transition qui peut être parfois douloureuse. Aujourd'hui, il y a une nouvelle manière d'écouter et de consommer.
Avec cette nécessité de devoir toujours faire l'événement, non ?
C'est sûr. David Pujadas a une expression que j'aime bien. Il dit que le journalisme est un travail d'artisan. Ce qu'on peut voir dans "Quelle époque" ou dans la matinale de France Inter, ce sont des heures de travail. La fluidité, ça se travaille. C'est un travail d'orfèvre avec les équipes de France Inter, avant avec Laurence Bloch, aujourd'hui avec Adèle Van Reeth et Catherine Nayl. C'est une obsession d'avoir le bon invité au bon moment, de créer la surprise et de ne pas ennuyer l'auditeur. Dès qu'on perd un petit peu l'intensité de cette réflexion, on rate. En novembre, je me suis rendu compte que j'avais fait trop d'invités cinéma à 7h50. J'avais enchaîné sur trois semaines quasiment deux ou trois interviews sur le cinéma. C'était bien. C'était volontaire pour booster les salles. Il y avait une volonté de France Inter de promouvoir le cinéma, mais à la fin il n'y avait plus un invité d'actu. Là, je me suis dit que c'était une connerie. Il faut tout le temps essayer de doser et de surprendre. Je remercie les auditeurs. En audience cumulée, on a 4,5 millions d'auditeurs tous les matins. C'est incroyable. Moi, j'ai grandi avec la télévision. Je suis un bébé de la télé. Je suis venue à la radio sur le tard. J'ai vraiment découvert les liens charnels qu'on peut avoir avec l'auditeur qui est un lien différent de celui avec le téléspectateur. Les auditeurs sentent et pressentent les choses.
Outre les politiques, il y a aussi des invités surprenants dans votre entretien à 7h50 : le streameur Zerator, Vald, Orelsan, le mangaka Hajime Isayama ("L'attaque des Titans") et entre autres Zlatan Ibrahimovic.
D'abord, j'ai eu ma passion rappeur. C'était un peu Fred Musa et Skyrock sur France Inter. (rire) En fait, je passe mon temps à aller contre moi-même. Spontanément, je ne suis pas une lectrice de mangas. Et en même temps, c'est phénoménal. Quand on m'a proposé Hajime Isayama, j'ai accepté évidemment. Je me suis plongée dans l'univers. Je savais que les fans de manga attendaient cette interview parce que le type parle très rarement. C'est difficile de faire parler un Japonais qui n'aime pas trop ça. C'est l'une des interviews où je me suis foutu un stress monumental. J'étais plus stressée pour interviewer le mangaka que Marine Le Pen. Il faut que nous-même, nous soyons surpris. Il faut trouver la différence et faire un pas de côté, pour ne pas se laisser aller à la facilité de l'invité prévisible.
Le 8 février dernier, vous avez reçu la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, dans la matinale de France Inter. La membre du gouvernement avait tenu des propos contre C8 et CNews, qui ont agacé les visages de ces deux chaînes. Pascal Praud s'en est alors pris à vous en vous qualifiant de "complices" de la ministre. Souhaitez-vous lui répondre ?
A moi ? Il s'en prend à moi ? Je n'ai pas vu cette sortie. Pascal Praud, c'est mon vieux copain. On s'est rencontré quand on était à iTELE tous les deux. Là-bas, on a sympathisé et depuis, on a eu des conversations assez longues, sur les relations entre les hommes et les femmes, sur la politique ou sur la littérature. Ca peut surprendre mais Pascal Praud lit beaucoup. C'est un homme cultivé. Il m'a déjà offert des livres ! On a de vraies conversations, ce qui étonne les gens à chaque fois que je le dis. Mais on s'appelle aussi pour s'engueuler, l'un et l'autre. Parfois, il me trouve trop dure avec certains invités qu'il aime bien. Parfois, je trouve qu'il va trop loin, je lui dis. On a des conversations assez franches.
Et pour l'interview de Rima Abdul Malak, vous a-t-il appelée ?
Non, il ne m'a pas appelée. S'il a quelque chose à me dire, il a mon numéro de téléphone. Pour tout vous dire, je ne veux pas alimenter la guéguerre entre le service public et le groupe Bolloré. Je n'ai pas envie de ça. Les critiques sur le service public et France Inter sont parfois justes. Je ne dis pas qu'on est parfait, mais on ne peut pas enfermer France Inter comme une radio bien-pensante et parisianiste bobo de gauche. En plus, on est surtout écouté en région. On a même plus d'auditeurs en province qu'à Paris. Je pense qu'on a beaucoup d'auditeurs de droite. De plus en plus. Tous les matins, j'essaye d'ouvrir à tous les publics. J'ai été très contente de recevoir Gaspard Proust. Ca a fait grincer des dents. On se doit de parler à tout le monde. On ne parle pas qu'à une part de marché. Il n'y a pas de liste noire. Qu'on ne vienne pas nous dire qu'on invite toujours les mêmes, ce n'est pas vrai ! Moi, je ris autant sur Gaspard Proust, Matthieu Noël, Philippe Caverivière ou Charline Vanhoenacker. Je sais que c'est mal de dire ça de nos jours (rires) où on t'impose tous matins de choisir un camp. Et pour le reste, j'embrasse Pascal Praud. Jamais de la vie je n'ai été complice de la ministre. Il y avait eu cet échange entre la ministre et Hanouna avant et l'interview de Rima Abdul Malak dans "Le Monde". Evidemment qu'on allait poser la question. Ce n'était pas du tout préparé à l'avance. Elle a répondu ce qu'elle a répondu. Ce qu'elle a dit à France Inter, elle aurait pu le dire sur RTL ou sur Europe 1.
Pour rester en politique, il y a eu le sujet des 1.200 euros de pension de retraite, martelé par le gouvernement et par certains éditorialistes. Sur France Inter, Michaël Zemmour a décortiqué les éléments de langage de l'exécutif. Comment la presse en est arrivée là et quelles leçons peut-on en tirer ?
La leçon est qu'il faut recevoir des universitaires. C'est vrai qu'il y a eu quelque chose d'étonnant sur cette séquence. Certes, il y avait eu des articles dans "Libération" et dans "Médiapart" qui avaient expliqué que ce ne serait pas 1.200 euros pour tout le monde à carrière complète, comme ils essayent de le dire. Elisabeth Borne présente la réforme des retraites le 10 janvier. Mais jusqu'à ce moment radio de Michaël Zemmour sur France Inter, les ministres ont été interrogés matin, midi et soir. Ils ont quand même tous répété sur les plateaux : "Pension minimale à 1.200 euros". Ils l'ont dit ! Ils l'ont écrit ! Ils l'ont tweeté ! Moi, deux jours avant de recevoir Michaël Zemmour, j'avais Bruno Le Maire qui disait ça le matin à la radio. En fait, ils ont joué sur les mots. Ils ont laissé penser quelque chose qui n'était pas juste. Il a fallu ce moment avec cet universitaire qui nous a expliqué avec une démonstration limpide que c'était faux, pour qu'ensuite tout le monde leur rentre dedans. Sans doute qu'il faut écouter davantage les universitaires.
Est-il vrai que vous vouliez quitter la matinale de France Inter la saison dernière ?
A la même période l'année dernière, j'avais dit dans un journal à vos collègues du "Figaro" - et je m'étais fait engueuler à juste titre - que j'étais au bord de l'explosion avec la matinale de France Inter, les émissions politiques en prime time et les samedis soir sur France 2. Donc, j'ai appris de mes erreurs et je vais éviter de trop parler. (sourire) Je peux vous dire en revanche que ça fait sept ans que je suis dans cette matinale. Ca fait sept ans que je dors entre cinq et six heures par nuit. Je ne suis pas Emmanuel Macron. Il me faut plus d'heures de sommeil. Je n'ai pas le temps de faire de siestes, car je dois préparer "Quelle époque". Je dois m'occuper de mes enfants. J'ai une famille. Depuis que mon fils est né, je ne prends jamais le petit-déjeuner avec lui et je ne l'emmène jamais à l'école. Je me rattrape le soir. C'est moi qui m'occupe du dîner, du bain et du coucher. Il y aura sans doute des évolutions l'an prochain. Mais c'est une conversation que j'ai avec la direction de France Inter, de manière très libre. Cette matinale de France Inter et ce mariage avec Nicolas Demorand sont, sans conteste, l'une des plus belles expériences professionnelles de ma vie. C'est très rare d'atteindre ce degré-là de complicité et de plaisir à travailler avec quelqu'un. On l'a Nicolas et moi, et c'est très précieux. Si vous m'aviez dit quand j'ai commencé mon métier que je serais un jour sur la matinale de France Inter, qui est l'une des plus prestigieuses, je n'y aurais pas crû ! C'est une fierté. C'est un honneur. J'y suis très attaché. Mais il y a aussi la fatigue quand vous avez des milliers d'heures de sommeil en retard. A un moment, je n'ai plus 20 ans. C'est fatigant. Je suis en réflexion avec la direction de France Inter. C'est sur la table. On a de vraies discussions. Quand on aura décidé, je viendrai vous le dire.