"Bonjour, Élise Lucet, France 2". Célèbre dans l'inconscient collectif, cette entrée en matière de la présentatrice de "Cash investigation", une production Premières lignes, fête ses dix ans ! Élise Lucet est à la tête, ce jeudi 16 mars 2023 dès 21h10, d'un prime-time événement au cours duquel la quinzaine de journalistes obstinés de l'émission reprendront dans un film de 90 minutes trois enquêtes emblématiques et plébiscitées par les téléspectateurs.
Dans la foulée, Élise Lucet animera un débat d'une heure auquel prendront part Antoine Deltour, une des deux sources à l'origine des Luxleaks, mais aussi les représentants de ceux avec qui elle a ferraillé ces dix dernières années : Stéphane Fouks, vice-président de Havas, l'une des plus grosses agences de communication de la place de Paris, et l'avocat Emmanuel Daoud.
Dans un long entretien en trois parties, Élise Lucet revient, dans un premier temps pour puremedias.com, sur les enjeux de cette soirée et les coulisses de fabrication de l'émission qui a réuni, en moyenne en 2022, 2,5 millions de téléspectateurs (11,0% de l'ensemble du public, 12,0% de part des 25-49 ans et 11,0% des 50 ans et plus), selon Médiamétrie.
Propos recueillis par Ludovic Galtier
puremedias.com : Vous fêtez les 10 ans de "Cash investigation". Trois des 59 enquêtes diffusées ces dix dernières années vont être prolongées ce soir. Comment ont-elles été choisies ?
Élise Lucet : Nous avons lancé une grande consultation auprès des téléspectateurs, d'abord en leur demandant quelles étaient les enquêtes qui les avaient le plus marqués et sur lesquelles ils souhaitaient que nous enquêtions à nouveau. Est arrivée en tête celle sur Lidl ("Travail : Ton univers impitoyable", ndlr), qui a réalisé la meilleure audience historique de "Cash investigation" avec 3,8 millions de téléspectateurs et 17,7% du public (le mardi 26 septembre 2017, ndlr). Ont suivi celles sur les sels de nitrites dans le jambon et sur l'évasion fiscale avec les Panama Papers.
C'est quoi la méthode "Cash" ?
À la création, nous nous sommes dit deux choses : un, les communicants où qu'ils soient ont pris énormément de place dans les entreprises et dans l'entourage des politiques. Partout où nous allions, nous avions des communicants en face de nous, qui petit à petit avaient restreint le champ des journalistes. Nous avons donc décidé pour reprendre du terrain, en tant que journalistes, d'aller à l'encontre de cela et de poser le postulat selon lequel quand on nous refusait une interview, nous nous inviterions à une conférence de presse ou une table ronde pour poser les questions que nous souhaitions poser. Mais l'idée, c'est d'abord et surtout d'obtenir une vraie interview.
Et la deuxième chose ?
La deuxième promesse était d'être sérieux sans se prendre au sérieux. Avant "Cash", les émissions d'investigation étaient programmées en seconde partie de soirée et réservées à un public élitiste. Nous avons donc décidé de faire de "Cash" une émission hyper sérieuse sur le fond mais plutôt sympa à regarder, drôle, avec dedans des dessins-animés, des pubs et de l'autodérision. Si nous voulons intéresser tout le monde, il faut ces moments de pause dans la narration et utiliser des clefs pour mieux expliquer des processus complexes. C'est cela qui a marché.
Comment avez-vous appréhendé ce rôle consistant à demander des comptes aux puissants ?
Je ne l'ai pas appréhendé, je l'ai construit. Je voulais aller sur le terrain pour poser ces questions là et casser les codes. Nous avons vraiment avancé en marchant. Je me souviens de la préparation de la toute première interview impromptue, c'était rigolo parce que nous inventions un truc qui n'avait jamais été fait. Je tenais absolument à le faire. Ce qui était intéressant, c'était de voir un présentateur de JT qui sort de sa boîte et qui montre qu'il est journaliste autrement (Elise Lucet a présenté le "19/20" national de France 3 entre 1990 et 2005 puis le "13 Heures" de France 2 entre 2005 et 2016, ndlr).
Dans quels cas ?
Comment expliquez-vous ce changement de pied de leur part ?
C'est le privilège des puissants de ne pas répondre ?
Quand on s'intéresse au management de Lidl, c'est parce qu'il s'agit d'un management systémique que l'on retrouve dans plusieurs endroits du groupe. Dans tous les groupes du monde, il y a des dérives et des choses qui ne vont pas. Quand il s'agit d'une dérive individuelle, un manager coupable de harcèlement, malheureusement cela arrive partout. Et ça, cela ne nous intéresse pas. Donc, nous ne cherchons pas la petite bête mais la grosse bête.
Vous assurez aussi la co-rédaction en chef du programme. Qu'est-ce que cela signifie ?
Combien de numéros de "Cash investigation" sont diffusés chaque année ?
Vous pouvez nous dire "les yeux dans les yeux" que le magazine "Cash" n'a jamais été menacé de disparition ?
Non du tout !
Il n'a jamais été question de réduire le nombre de numéros non plus ?
Il y a eu une réduction de numéros en saison 2 mais j'ai fini par remporter le morceau puisque nous avions huit numéros la première année et quatre numéros la deuxième année. C'est cette année-là que j'ai réussi à avoir un cinquième numéro qui a fait que l'émission a basculé en prime. Et depuis, il n'y a eu aucune menace sur l'émission. Nous avons une liberté totale. À aucun moment, on nous a dit : "Ah non, pas cette enquête-là". J'ai un contrat de confiance avec Delphine Ernotte qui me demande juste de la prévenir quand nous sommes sur des moments sensibles. Elle souhaite être au courant afin de savoir quoi répondre quand on l'appellera. "Je ne veux pas avoir l'air d'une idiote et ne pas être au courant", me dit-elle. Ce qui est totalement normal.
Êtes-vous la seule journaliste de votre trempe à avoir accès directement à Delphine Ernotte ?
Je n'ai pas ce sentiment. A partir du moment où l'on traite de sujets sensibles, je crois que n'importe quel journaliste peut l'appeler en lui disant : "Delphine, il faut que je vous parle, j'ai un truc important à vous dire".