Nicolas Auboyneau (France Télévisions) : "Le théâtre est un genre difficile à programmer en télévision"

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Nicolas Auboyneau (France Télévisions) : "Le théâtre est un genre difficile à programmer en télévision"
Par Benjamin Meffre Journaliste
Passionné par les médias, l’économie et la politique, Benjamin est rédacteur en chef de puremedias.com dont il a intégré la rédaction en 2013.
Nicolas Auboyneau
Nicolas Auboyneau © Eric Vernazobres/FTV
Alors que "Jo" a enregistré une bonne audience hier soir sur France 2, puremedias.com a interrogé le "Monsieur théâtre" de France Télévisions.

France 2 mise de nouveau sur le théâtre. Hier soir, la chaîne publique a diffusé en prime time "Jo", une pièce ayant déjà inspiré le film éponyme avec Louis de Funès en 1971. Portée par Didier Bourdon et Audrey Fleurot, la pièce mise en scène par Benjamin Guillard était retransmise en direct depuis le théâtre du Gymnase. Le public a répondu présent à la proposition du service public, avec 2,06 millions de téléspectateurs, soit 10,1% du public.

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A l'occasion de cette diffusion, puremedias.com a tenté d'en savoir plus sur la stratégie du service public en matière de théâtre, un genre largement délaissé par la plupart des chaînes historiques au nom des supposés trop grands risques pour l'audience qu'il ferait courir. puremedias.com a ainsi interrogé Nicolas Auboyneau, le "Monsieur théâtre" de France Télévisions.

Propos recueillis par Benjamin Meffre.

puremedias.com : Pourquoi avoir décidé de diffuser la pièce "Jo" ?
Nicolas Auboyneau :
Parce qu'on me l'a proposée ! Nous sommes à la recherche de pièces de théâtre pour le prime time. Il y plusieurs options : soit ce sont des pièces déjà en exploitation, jouées dans des salles, et on diffuse l'une des dernières représentations, soit ce sont des pièces en train de se monter, soit il faut créer une pièce ad hoc. Mais cette dernière solution n'est pas très vertueuse pour nous car c'est une option particulièrement coûteuse. On a pu le faire par le passé mais aujourd'hui, les budgets sont trop contraints. On privilégie donc les premières options, comme avec "Jo", ou "Paprika" avec Victoria Abril (diffusée en avril 2018, ndlr).

Comment se passe le processus de sélection des pièces diffusées ?
C'est très simple. On lit d'abord la pièce, comme un directeur de théâtre. Si l'oeuvre nous plaît, on organise une lecture autour d'une table avec des acteurs, parfois ceux pressentis pour jouer la pièce. Et si cela nous convient, on y va. C'est ce qu'il s'est passé avec "Jo".

Ils ont dit
"Nous avons un droit de refus en matière de mise en scène"
Nicolas Auboyneau

Est-ce que le fait qu'un film avec Louis de Funès existe déjà, vous a incité à dire oui à ce projet ?
Oui, cela a joué pour convaincre l'antenne de valider ce projet. Ils connaissaient le film et son succès. Cela a aussi facilité la communication dans la presse autour de la pièce, car on a tous cette référence commune.

Une fois le projet validé, avez-vous un droit de regard sur la mise en scène ?
Nous sommes dans un rôle d'approbation, qu'il s'agisse des décors ou des costumes. Mais c'est l'équipe artistique qui monte la pièce qui est à la manoeuvre, pas nous. Disons que nous avons plutôt un droit de de refus, du fait des contraintes techniques propres à la télévision. Nous avons des interdits par rapport à l'image ou la lumière.

Pouvez-vous donner un exemple ?
Disons qu'un décor peut avoir du sens pour un spectacle dans une salle de théâtre mais rendre terriblement à la télévision. Par exemple, dans un théâtre, si vous mettez une seule feuille de décor avec des boiseries, une fausse cheminée et une glace, le spectateur dans la salle sait que nous sommes dans un salon, et ce, même si tout le reste de la scène est dans le noir. En télévision, ça ne peut pas fonctionner car soit nous sommes très resserrés sur cette feuille de décor et nous savons où nous sommes, soit nous sommes perdus dès que nous utilisons une caméra de côté ou un plan large. Imaginons deux personnages qui dialoguent en champ-contre champ : l'un est sur un fond noir et l'autre sur le fond de la feuille de décor. L'image n'est plus cohérente puisque les deux personnages semblent ne pas être dans la même pièce...

Vous avez aussi des contraintes en matière de lumière, non ?
C'est la première question qu'on se pose en effet quand on filme un spectacle, que ce soit pour l'opéra, la danse ou le théâtre. Il faut un travail particulier pour que le téléspectateur puisse voir le spectacle tel que l'a voulu son créateur. Pour "Jo" par exemple, il y avait des scènes de nuit qui étaient trop sombres et que nous avons dû un peu remonter pour l'antenne.

Ils ont dit
"Le prime de France 2 est une très, très grande salle"
Nicolas Auboyneau

Combien de caméras sont-elles nécessaires pour une captation d'une pièce ?
Une petite dizaine pour "Jo" par exemple.

Le jeu des acteurs change-t-il pour la captation télé ?
Non, ils jouent comme s'ils étaient simplement sur scène. Disons que la captation est surtout la source d'un stress supplémentaire pour eux.

Vous privilégiez les captations en direct ?
Le direct est formidable parce que c'est le coeur du spectacle vivant. C'est un vecteur d'émotions incomparable.

Combien coûte une captation d'une pièce de théâtre ?
C'est dans la moyenne des coûts d'un prime de divertissement. C'est une grosse équipe mobilisée qui réalise un très important travail de préparation. Il faut tout anticiper pour être prêt à la seconde près lors de la captation en direct.

Ils ont dit
"Une pièce de Molière est très compliquée à diffuser en prime sur France 2"
Nicolas Auboyneau

Côté choix des comédiens, le facteur "vu à la télé" est-il primordial pour une diffusion en prime sur France 2 ?
Le prime de France 2 est une très, très grande salle. Une belle affiche avec de belles têtes d'affiche est un moyen, évidemment, pour la remplir. Il faut malgré tout une vraie cohérence, ou créer la surprise avec des comédiens que nous voyons rarement au théâtre.

C'est quoi un bon texte de théâtre pour un prime sur France 2 ?
Ce qui fonctionne, comme pour la fiction ou tout programme de télé, c'est le plaisir. Il faut aussi être accroché d'entrée de jeu. Le spectateur dans la salle a payé sa place et y restera a priori jusqu'à la fin de la pièce.Le téléspectateur assis sur son canapé avec sa télécommande dans la main, pas forcément. Il faut donc que le début des pièces soit très fort et que le téléspectateur ait envie de rester jusqu'au bout. Il faut que l'histoire ait du sens, même dans la folie comme dans "Jo", et soit juste.

Les pièces comiques sont-elles celles qui fonctionnent le mieux à la télévision ?
Oui. Le public qui vient voir du théâtre sur France 2 cherche généralement du divertissement. Mais attention, divertissement veut aussi dire émotion.

Diffuser une pièce classique en prime time sur France 2, c'est inimaginable ?
Non, ce n'est pas inimaginable. La seule difficulté, c'est la langue.

Faut-il la moderniser ?
On peut difficilement toucher au texte d'une pièce classique.

C'est donc impossible...
Non, c'est possible. Une pièce de Molière, en revanche, est très compliquée à diffuser en prime time. On a essayé sur France 2 mais cela n'a pas très bien fonctionné...

Ils ont dit
"Notre objectif est de faire la meilleure audience possible"
Nicolas Auboyneau

Pourquoi ?
Parce que si on écoute bien, la langue de Molière n'est pas si simple à appréhender. C'est même une langue plutôt complexe, qui devient malheureusement un obstacle pour cette immense salle qu'est le prime de France 2. On verra davantage de pièces de Molière sur France 5 par exemple, où la salle est un peu moins grande. Paradoxalement, Racine, même si ce sont des alexandrins, a une langue plus simple. Marivaux a aussi un vocabulaire et une langue beaucoup plus accessibles. Idem pour Shakespeare ou Goldoni qui bénéficient de traductions d'aujourd'hui, plus proches du langage actuel, et donc plus accessible. Molière présente une deuxième difficulté : ses scènes dites "d'exposition".

Qu'entendez-vous par là ?
Ce sont une ou deux scènes en début de pièce durant lesquelles on commence à faire tranquillement connaissance avec les personnages, sans que l'action ait réellement commencé. C'est très contre-productif en télévision car cela ne permet pas de garder le téléspectateur. C'est terrible mais c'est comme cela. Plus généralement, je pense qu'il ne faut pas affaiblir des oeuvres en les exposant alors qu'on sait pertinemment qu'elles vont faire des audiences décevantes.

Avez-vous justement des objectifs d'audience ?
Oui, la meilleure audience possible (rires).

Le public du théâtre à la télévision est-il le même que celui qu'on retrouve dans les salles ? Autrement dit, est-il particulièrement âgé ?
Le public dans les salles de théâtre est en effet plutôt plus âgé que la moyennei. On le retrouve en partie dans les audiences du théâtre à la télévision. Nous sommes plus près d'un plus jeune public lorsque nous travaillons sur les spectacles comiques, les one-man-show, le stand-up, comme dans la case de deuxième partie de soirée le lundi sur France 2 par exemple.

Ils ont dit
"Le théâtre doit rester un évènement à la télévision"
Nicolas Auboyneau

Le théâtre a eu une place importante à la télévision dans les années 1960 et 1970, notamment avec "Au théâtre ce soir". Le genre a ensuite disparu des écrans, avant un retour sur France Télé en 2007. Pourquoi ?
C'était une volonté du service public de réessayer. Il se trouve que les premières pièces diffusées comme "Faisons un rêve" en 2007 ou "Fugueuses" en 2008 ont en plus enregistré des scores d'audience tonitruants, avec des pics à huit millions de téléspectateurs ! On m'a du coup demandé d'en programmer plus. Ces bons scores ont refait du théâtre un genre important à la télévision. Il faut cependant que cela reste un évènement, particulièrement dans un univers avec autant de chaînes et de programmes.

Peut-on imaginer des captations de théâtre pour des plateformes de SVOD ?
Il y a des tentatives mais le modèle économique de ces projets n'est pas très adapté à ces plateformes. Je n'y crois donc pas trop, sauf pour des pièces achetées sur catalogue, déjà captées.

Pour les pièces qui ont le plus de succès en salles, votre plus gros concurrent n'est-il pas le cinéma ? On peut penser au destin du "Prénom" par exemple, qui est devenu un film à succès après avoir cartonné au théâtre...
Oui, c'est l'exemple typique. "Le prénom" cartonnait au théâtre Edouard VII. Face au succès de la pièce, les auteurs ont finalement signé pour une adpatation au cinéma, et non pas pour une captation télé, à notre grand regret. Mais on peut difficilement lutter. C'est la même chose pour "Edmond". J'aurais adoré pouvoir la capter pour la télévision mais c'est finalement devenu un film.

Ils ont dit
"Nous allonst diffuser sur France 2 'Pourvu qu'il soit heureux', la pièce de Laurent Ruquier"
Nicolas Auboyneau

Vous avez aussi fait rejouer des grands procès au théâtre. Avez-vous d'autres projets dans ce domaine ?
Non, pas pour l'instant. On l'a fait avec Robert Hossein notamment ("L'Affaire Seznec" en 2010, ndlr). L'idée est bien mais théâtralement, ça fonctionne difficilement en télévision. Cela se résume trop souvent à des dialogues entre les avocats, les témoins et la Cour, sans coup de théâtre.

Combien de pièces diffuserez-vous sur France 2 cette saison ?
C'est au gré de ce que l'on trouve. C'est entre deux et quatre par saison.

Avez-vous en tête la prochaine pièce diffusée sur France 2 ?
Nous allons prochainement diffuser sur France 2 "Pourvu qu'il soit heureux", la pièce de Laurent Ruquier avec Francis Huster et Fanny Cottençon. Il y a aussi une case sur France 5 le samedi en deuxième partie de soirée, dans laquelle nous allons prochainement diffuser "Vous n'aurez pas ma haine" d'Antoine Leiris, "Les Justes" d'Albert Camus, une pièce adaptée par Abd al Malik au théâtre du Châtelet. Nous allons aussi filmer "Elephant Man" avec Béatrice Dalle et JoeyStarr ou "Palace" au théâtre de Paris. Le programme est donc riche.

Diriez-vous que le théâtre est le genre le plus difficile à programmer en télévision ?
C'est un genre difficile , oui. Ce n'est pas un programme formaté. C'est une alchimie subtile entre des comédiens, un texte, une mise en scène et un public. Et ce qui marche dans la salle ne sera peut-être pas ce qui marchera à la télévision...

Le succès télé d'une pièce de théâtre est-il forcément un petit miracle ?
Non, c'est l'échec qui est une déception (rires). Ce n'est pas un miracle non. Tout le monde a travaillé dur pour y arriver. Mais c'est vrai que quand j'ai découvert l'audience de "Fugueuses" en 2008 (8 millions de téléspectateurs, 33,4% de part d'audience, ndlr), je me suis mis à genoux (rires).

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