Musique
Stromae : "Si tu ne fais pas de commercial, tu restes dans ta cave"
Publié le 22 juin 2010 à 16:09
Par Julien Mielcarek
Après son tube "Alors on danse", entretien avec le jeune chanteur belge de 25 ans. Il évoque la façon dont il a vécu ce succès fulgurant mais aussi l'avenir, le téléchargement... et la situation politique en Belgique.
Stromae Stromae© Universal
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On ne le connait pas encore bien. Et pourtant, vous n'êtes pas passé à côté de Stromae et de son tube [musique:359012 "Alors on danse"]. Venu du monde du rap, ce jeune musicien belge de 25 ans est tombé dans la house avec la volonté de lui donner du sens. Derrière des mélodies calibrés pour les dancefloors se cachent des textes graves et mélancoliques. Alors que sort son premier album, [musique:380020 "Cheese"], rencontre avec Stromae.

Ozap : On est installés chez Universal, une grosse maison de disques. Quand as-tu signé ton premier contrat avec une major ?
Stromae : C'est ma propre production qui licencie à Universal qui fait la promotion et la distribution.

C'est marrant qu'à seulement 25 ans et pour un premier album, tu sois déjà si organisé...
En fait, c'est parce que je l'ai toujours fait. Après, ce n'était pas honnête de signer un deal d'artiste parce que ce n'est comme ça que je fonctionne. J'ai toujours payé moi-même mon ingénieur du son et, pour mes compositions, mon matériel ne coûte pas trop cher. Malgré le fait que je n'ai jamais gagné beaucoup de thune, j'ai toujours tout investi dedans et je n'ai jamais eu de problème. Après, c'est toujours bien d'avoir les idées des maisons de disques car elles ont de l'expérience. En licence, c'est plus facile de dire "C'est ça ou c'est rien" mais tu travailles en équipe : si tu as signé avec des gens, tu acceptes qu'ils émettent un avis. Ce n'est pas juste se soumettre mais tendre l'oreille pour écouter les choses intéressantes.

C'est la parade que tu as trouvé pour faire face à la crise du disque et aux problèmes des majors ? Le modèle te parait bon dans l'époque actuelle ?
Je te répondrai dans un an ou deux (rires).

Il y a eu l'énorme tube [musique:359012 "Alors on danse"]. Comment on vit ça quand ça nous tombe dessus ?
Déjà, on ne vit pas (rires). En fait, tu n'as même pas le temps de le voir. Comme j'ai toujours été très prévoyant, je me suis toujours dit "Ok, ça commence à sentir le succès". Quand ça a commencé à prendre en Allemagne, on te dit que l'est va suivre, qu'il y aura la Suisse, l'Autriche... Donc, là, tu commences à te dire qu'il va falloir prévoir un peu. Et puis tu rencontres des directeurs artistiques qui ont déjà vécu de telles situations et ils te disent de rester dans la même énergie. Il faut rester proche de tes amis, ta famille et, en plus de ça, rester dans la même façon de travailler. A un moment, je me disais "Est-ce que ça va leur plaire que je travaille de la même manière ?" et en fait bien sûr que oui. Les gens te disent de rester exactement dans la même chose, c'est très bien.

Avaient-ils senti assez vite le potentiel tubesque de [musique:359012 "Alors on danse"] ?
Le morceau était déjà cinq semaines N°1 en Belgique quand les maisons de disques ont commencé à s'y intéresser. Sans prétention, le côté tubesque, on s'y attendait parce qu'on avait vu les réactions auprès des francophones en Belgique, et on a vu que ça suivait le même chemin en France. C'était un petit peu prévisible mais le travail de la maison de disques est de pousser derrière et d'assurer l'après [musique:359012 "Alors on danse"].

Comment t'ont-ils aidé ?
Parmi les bons conseils qu'ils m'ont donné, c'est au sujet des discothèques. C'est bien de faire des clubs, on en a fait beaucoup en Belgique, mais, après, si tu commences à faire trop de clubs, tu risques de paraitre pour un Pitbull ou un Helmut Fritz parce que tu vises uniquement le divertissement. Je n'ai pas honte du divertissement mais si tu veux donner un peu plus de profondeur, tu le défends sur scène dans de vrais concerts avec du vrai live, de la chorégraphie, de l'interprétation.



Après ce succès, as-tu ressenti la pression de chercher à refaire d'autres gros tubes ? Est-ce que ça joue dans le choix des singles ?
C'est vrai. Mais, le but d'un single, c'est quand même à la fois de représenter l'album et d'être entendu par un maximum de gens. Donc, dans le choix des singles, ça a toujours été le but. Quand j'avais le discours "commercial, pas commercial", j'ai appris avec l'âge qu'à un moment, si tu ne fais pas de commercial, tu restes dans ta cave. Il y a quand même une volonté de vendre ta musique.
Après, au niveau de la composition, j'avoue que ça a été difficile au début. Quand tu es cinq semaines N°1, tu commences à prendre un peu confiance mais, en même temps, tu ne prends pas confiance ! Comme je suis d'une nature anxieuse, j'étais en train de me demander ce que j'allais faire et plus aucune compo ne sortait. Je n'osais plus rien faire.

Qu'est-ce que tu as fait alors ?
Il faut essayer de se remettre bien dans le bain et les gens qui ont de l'expérience te remettent les idées en place. On m'a dit de rester dans ma bulle pendant un mois, à Bruxelles, sans pression. Objectivement, ce n'est pas possible. Tu n'as en tête que [musique:359012 "Alors on danse"] qui est N°1 en Europe (rires).

On imagine que, même si tu en as beaucoup vendu, [musique:359012 "Alors on danse"] a sans doute été très téléchargé illégalement. Ca participe au succès en quelque sorte. Je ne vais pas dire que tu t'en fous parce que le single a plus que marché...
Je pourrais m'en foutre parce que je n'ai pas connu l'âge d'or du disque. Dans notre génération, on s'en fout. Pour moi, c'est un carton donc je pourrais m'en foutre. Après, financièrement, c'est difficile pour beaucoup de gens même si c'est une bonne leçon pour les gens qui ne sont venus que pour l'argent. Ceux-là ont vite abandonné l'industrie du disque. Au final, on arrive à épurer et à revenir à l'essentiel : c'est-à-dire qu'on économise, on fait avec les moyens du bord et on fait un travail vraiment artisanal. On retourne vraiment à l'essentiel, il n'y a plus que les passionnés de musique qui restent. Et si je le faisais pour les thunes, j'aurais arrêté depuis longtemps.

Penses-tu quand même que les artistes doivent chercher à éduquer le public ? Quand tu vois Michel Sardou dire sur RTL qu'il pirate des films en demandant de ne pas le faire chier...
(rires) Il la joue honnête parce que c'est vrai qu'on l'a tous fait.

Mais, même s'il a téléchargé, tu ne te dis pas qu'un artiste si connu doit avoir un devoir de réserve ?
A un moment, tu ne peux pas motiver les gens à t'acheter. Après, s'il l'a joue franc-jeu, il n'y a pas de souci. Moi aussi, je la joue franc jeu, j'ai déjà téléchargé. Le discours qui est de dire "C'est pour les artistes", il faut arrêter. Il y a une industrie qui a besoin de vivre, il n'y a pas que les artistes même si, au final, ce sont eux qui en patissent le plus. Une maison de disques retrouvera toujours ses billes. Internet est à double tranchant : financièrement, c'est difficile pour la musique mais au niveau du mélange culturel, je pense que la musique n'a jamais été autant en essor. Il n'y a jamais eu autant de brassage. C'est vraiment bénéfique parce qu'un brésilien peut faire un featuring avec un japonais et qu'il n'y a aucune limite.



Beaucoup de gens ont dansé sur ton single alors que, comme sur le reste de l'album, les paroles sont plutôt tristes.
Ca parle quand même de la fête.

La fête désabusée alors.
On me disait que, dans la house, on sentait souvent une grande mélancolie et c'est ça que j'ai aimé. Il y a une énorme mélancolie comme l'après-fête pendant la fête, comme si on était déjà dans la tristesse du lendemain. Dans [musique:359012 "Alors on danse"], j'explique en texte ce que la musique électro transmet. C'est mon côté indécis et anti fleur bleue : je n'aime pas quand ça finit bien ou mal, c'est toujours entre les deux.

Sur ton disque, ça finit surtout mal !
C'est pour contrebalancer par rapport aux chansons joyeuses parce que, quand tu n'écoutes pas les textes, tu peux trouver ça marrant et danser dessus. Mais je préfère donner un côté plus social et documentaire à ma musique, un côté plus réaliste. J'ai toujours parlé de la vraie vie en étant anti bling-bling. Je ne suis pas un grand auteur mais je pense simplement qu'il est possible de chanter quelque chose de sensé sur de l'électro.

A chaque interview, on t'a comparé à Brel alors je tombe dans ce cliché...
(rires) Franchement, moi, je dis merci !

Mais ça ne t'a pas saoulé qu'on se sente obligés de te comparer à quelqu'un ?
Non parce qu'au moins, ça veut dire qu'on ne s'est pas arrêtés à ma musique mais aussi aux textes, même si je pense que l'assimilation doit ensuite s'arrêter très vite.

On te parle beaucoup de ton look, est-ce une partie totalement intégrée au projet ?
Oui, bien sûr mais je m'habille comme ça dans la vraie vie, ce n'est pas un déguisement.

Lance une ligne de vêtements alors !
Pourquoi pas ! Mais je ne suis pas dessinateur de sapes et je n'aurais peut-être pas le temps mais pourquoi ne pas trouver des talents et sortir sa marque. On va peut-être déjà essayer de sortir un album et après on verra (rires). Mais il y a plein de choses, j'aimerais aussi tenter le cinéma, ce serait marrant. Mais c'est avant tout la musique, on fera les choses bien quand il le faudra.

Mais comment tu as imaginé ce style ?
C'était clairement voulu. C'est parti avec l'idée de se démarquer et c'est venu quand j'ai changé de style de musique. En fait, je commence à comprendre ceux que je pointais du doigt en disant que ce sont des malades mentaux, comme Elton John par exemple, avec ses lunettes etc. C'est un peu extrémiste comme exemple mais ça vient de la volonté de se différencier et d'être unique. Dans un magasin, ça me démotive d'acheter quelque chose si d'autres l'ont déjà. En revanche, ça me motive d'aller des trucs qui n'ont pas été achetés : si un vendeur me dit "J'aurais bien aimé que tu le prennes parce qu'on ne l'a pas trop vendu" alors là, je le prends direct. Aujourd'hui, la musique est une entité : quand je compose, j'imagine déjà les images de mon clip ou encore la façon dont je vais m'habiller.



Tu es né en Belgique. Est-ce que tu suis la situation politique là-bas et la poussée des indépendantistes ? On peut lire que le pays peut exploser.
Ca, c'est de l'exagération. Même si je ne m'y intéresse pas de près, je n'ai pas l'impression que ça va péter demain. Il y a des gens qui ont fait de jolies démarches comme le faux JT sur la séparation de la Belgique, j'ai trouvé cette démarche très intelligente.

Cette fausse émission a créé la panique.
Oui, ça a créé la panique mais ça a aussi rassuré tout le monde parce qu'on ne veut pas que ça pète. C'est comme si on nous faisait comprendre tout doucement à l'oreille "Il faudrait qu'on se sépare" et d'un coup, on nous dit "Allez, on va se séparer" et nous on dit "Non, non, non, ça va, on est d'accord, tout va très bien, on va rester ensemble" (rires). D'ailleurs, ce sont des conneries. Pour moi, ce sont les médias et la politique qui amplifient le côté séparatiste. Pour moi, ce sont des faux problèmes. Pour moi, les vrais gens n'en ont rien à foutre et ont d'autres problèmes : ils ont faim ! C'est le nerf de la guerre, il n'y en a pas d'autres (rires). Et même si la Belgique devait se séparer, ce ne sera pas avant cinq ou dix ans. Et de toute façon, Bruxelles n'appartiendra ni à la Flandre, ni à la Wallonie, ça, j'en suis certain !

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