
Faut-il une gouvernance commune pour la radio et la télévision publiques ? À cette question, Patrick Cohen a répondu sans détour, ce mercredi 17 juin, sur France Inter : non. "(Cette) proposition revient à démanteler Radio France et à saucissonner la radio en trois morceaux", a lancé l'éditorialiste au micro de la matinale, visant directement le projet de holding porté par Rachida Dati et le rapport rédigé par Laurence Bloch, ex-directrice de France Inter. Un édito que Puremédias vous propose de découvrir ci-dessus.
Depuis mardi, les députés de la commission des Affaires culturelles planchent sur la proposition de loi, adoptée en première lecture au Sénat, qui prévoit de regrouper au sein d'une même entité juridique, dénommée France Médias, les principaux groupes de l'audiovisuel public - France Télévisions, Radio France, l'INA, ainsi que potentiellement France Médias Monde - à compter du 1ᵉʳ janvier 2026. "Avec un texte que Rachida Dati défend bec et ongles" selon les mots de Patrick Cohen, et qu'elle présente comme une réponse face à la montée des plateformes numériques, à la désaffection des jeunes publics, et à la prolifération de la désinformation.
Le projet ne prévoit plus, officiellement, de fusion des entreprises, comme le souhaitait Rachida Dati à son arrivée rue de Valois en 2024. Chaque entité conserverait son identité propre, mais se retrouverait sous la houlette d'une holding à 100% publique, dirigée par un PDG chargé de la stratégie globale et de la répartition des budgets entre les filiales : france.tv, Radio France, Franceinfo et la plateforme locale ICI.
Laurence Bloch, dans le rapport qu'elle a remis récemment à la ministre, compare cette future holding à un "grand loft en copropriété", rapporte Patrick Cohen, pour qui cette image cache mal une restructuration en profondeur. "Officiellement non, ce n'est pas le but affiché. (…) Mais sa proposition revient à démanteler Radio France", affirme-t-il. Il rappelle que "le budget de l'audiovisuel public en 2025 n'est que de 3% supérieur à celui de 2015, alors que l'inflation a dépassé les 20%".
Le cœur de la réforme repose sur l'idée qu'un commandement unique permettrait de mieux affronter les défis actuels : concurrence des plateformes, besoin de transformation numérique, fragilité des coopérations locales… "Face à la concurrence des géants du numérique. Face à la désaffection des jeunes et des publics populaires. Contre la désinformation… Les constats sont aussi indiscutables que le raisonnement contestable", analyse l'éditorialiste. Il en veut pour preuve le virage numérique déjà opéré par Radio France, sans l'aide de la télévision : "85 millions d'écoutes par mois, près de la moitié des podcasts téléchargés en France viennent de Radio France", rappelle-t-il. Or, le rapport de Laurence Bloch suggère d'amplifier cette dynamique en rééquilibrant les moyens, "moins d'argent pour le linéaire, plus sur le numérique".
Autre point névralgique : la création d'une direction unique de l'information à l'échelle de la holding. "Une idée funeste", s'inquiète Patrick Cohen : "On ne peut même pas parler du retour de l'ORTF, il faut remonter à 1963 pour trouver trace d'un directeur de l'information unique radio-télé d'État. Et à l'époque, il n'y avait qu'une chaine…" Ce projet alarme aussi les syndicats. Dans un communiqué daté du 16 juin, le SNJ de Radio France dénonce une "trahison" de Laurence Bloch, accusée de vouloir "sacrifier la radio linéaire" et de faire reposer toute la production sur les plateformes, "comme les médias privés", ce qui irait à l'encontre de la mission de service public.
Le syndicat redoute l'arrivée d'un "patron aux pleins pouvoirs", chargé d'arbitrer les choix éditoriaux et financiers. "Incompréhensible, venant de quelqu'un qui a longtemps vécu de la radio", déplore-t-il, estimant que "les arbitrages se feront toujours au détriment de l'audio". Il craint que "le buzz devienne l'indicateur premier de performance". Patrick Cohen termine son édito en pointant un "éléphant dans la pièce" : le projet du Rassemblement national, qui promettait en 2024 de privatiser l'ensemble du service public de l'audiovisuel. "On peut penser — mais ce n'est pas certain — qu'un rapprochement des sociétés rendrait plus compliquée leur privatisation. Mais ce n'est pas dans le rapport", conclut-il.