
"Je ne parle pas avec des voyous. Vous êtes des voyous". Alors que les équipes de "Complément d'enquête" tournaient le numéro qui lui était consacré et tentaient d'obtenir des réponses à leurs questions, Rachida Dati s'est adressée en ces termes aux journalistes de l'émission de France 2, comme cela a été diffusé dans son portrait programmé le 5 juin dernier. L'enquête du rendez-vous présenté par Tristan Waleckx, intitulée "La conquête à tout prix", portait notamment sur des soupçons de conflits d'intérêt entre l'actuelle ministre de la Culture et GDF Suez. Selon des documents exclusifs obtenus par les journalistes de "Complément d'enquête", Rachida Dati aurait ainsi perçu 299.000 euros d'"honoraires" non-déclarés, alors que la concernée a toujours récusé tout lien contractuel avec le groupe, renommé Engie en 2015, et nié tout conflit d'intérêts.
La maire du VIIe arrondissement de Paris n'a que peu goûté cette enquête, et, selon "Le canard enchaîné", elle aurait lâché à propos de ce portrait, regardé par 892.000 téléspectateurs (12,5% du public) : "Je m’en fous, c’est prescrit", tout en affirmant qu'elle "aurait le scalp d’Ernotte (Delphine Ernotte, tout juste renouvelée à la présidence de France Télévisions, ndlr) avant de partir du ministère de la Culture". Interrogé par nos confrères du "Monde", le cabinet de Rachida Dati réfute "avoir exercé une quelconque pression à l’égard de France Télévisions" à propos du reportage de France 2.
Mais ce n'est pas ce que dit Tristan Waleckx, visage de l'émission depuis 2021. "Les pressions de Rachida Dati ont été bien réelles à l’égard de notre équipe, mais l’essentiel est que cela n’a eu aucune répercussion sur notre travail", a-t-il assuré auprès du "Monde". "À aucun moment, la direction n'a demandé la moindre modification du contenu du reportage, ce qui est pour nous un gage d’indépendance", s'est-il félicité.
Christophe Tardieu, le secrétaire général de France Télévisions a lui-même révélé à nos confrères qu'il avait été contacté à plusieurs reprises par Emmanuelle Dauvergne, l’une des plus proches conseillères de Rachida Dati, avant la diffusion du numéro de "Complément d'enquête". "J'ai cru comprendre, via son cabinet, que la ministre n’était pas forcément très heureuse à l’idée de voir un 'Complément d’enquête' qui lui était consacré. J’ai rappelé à Mme Dauvergne les principes cardinaux des responsables de France Télévisions : la qualité des programmes que l’on présente à nos téléspectateurs et qu’on ne peut pas transiger sur l’indépendance des journalistes, qui sont libres d’enquêter à partir du moment où ils respectent des règles déontologiques", a-t-il ajouté. Il faisait ici référence aux accusations de la ministre, qui affirme qu'un reporter du service public a proposé de payer plusieurs de ses proches afin d’obtenir des témoignages à charge la mettant en cause.
"Si nous avions eu la preuve de ce qu'avançait son entourage, cela aurait été une faute déontologique d’une gravité extrême et cela aurait valu licenciement", a conclu le dirigeant.